14 décembre 2017

N° 194 - Ragots et compagnie...


J'entends à la radio qu'il y a peut-être un souci avec le biocarburant. Le biocarburant, soyons clairs, ça n'est pas franchement bio. Si on l'appelle bio c'est uniquement parce qu'il est produit à partir de plantes, telles la betterave ou le chou-fleur. A peu près comme le pétrole, qui n'est jamais qu'un jus de feuilles mortes amassées à la pelle au temps des dinosaures. Mais aujourd'hui il y a un lézard : au Mecklembourg comme en Poméranie, et ailleurs, on cultive de plus en plus de maïs pour faire du carburant. Il pousse tellement vite, ce maïs, qu'on le soupçonne d'être un peu monsantisé. Bien sûr c'est très avantageux puisque dans ce maïs tout est bon : les feuilles, les tiges et les épis. C'est comme dans le cochon. Et justement, ce maïs, le cochon en raffole. Surtout le cochon sauvage. Le sanglier d'Europe, Sus scrofa Linnaeus, qu'il soit solitaire ou en harde, en fait des bâfrées. Vous avez surement déjà vu des cinéphiles s'installer avec un baquet de cinq litres de popcorn sur les genoux ? Eh bien ce n'est rien à côté de ce que peuvent engloutir un quartan, une laie ou même l'un de ses marcassins en livrée (qui ferait mieux de téter encore sa mère). Résultat : comme le maïs éthanolifère est boosté aux accélérateurs de croissance, celle du sanglier, donc son appétit et subséquemment sa vigueur procréatrice battent des records. Le sanglier pullule dans la campagne poméranienne.
Au point qu'il n'y trouve plus suffisamment de quoi subsister jusqu'à la saison nouvelle. Alors, sans se casser la hure (c'est librement que le sanglier polonais circule dans l'espace Schengen) il part avec sa compagnie faire un tour dans ses gagnages du Mecklembourg. Là il fouge dans les jardins à coup de boutoir, mulote dans les parcs et transforme les golfs en boutis. Il trottine en bande sur les boulevards, parcourt les autoroutes, fait le tour des stations-service par l'odeur alléché du sans-plomb à la polenta. Une harde a même chargé les baigneurs d'une plage de la Baltique (ça existe) pour leur chiper les chips tortillas du pique-nique.


Mais, j'y pense... le jour où il faudra déloger les zadistes de N-D des Landes, quoi qu'on décide après, ne serait-il pas plus efficace, moins risqué et plus écologique de les faire charger par des compagnies de sangliers plutôt que de CRS ? Il parait que les plus gros, les plus forts sont les Sus scrofae Attila (de Turquie, comme tous les costauds). Avec un nom pareil si, après avoir bouté tout le monde dehors, ils se mettaient à vermiller la plaine, l'herbe ne serait pas là d'y repousser. Les bulls de Vinci n'auraient plus grand-chose à faire pour créer la piste. En même temps... ce serait si bien labouré qu'on pourrait plutôt y planter des hectares de jatropha curcas, l'arbuste qui sert à faire du biokérosène. Et comme l'aéroport de Nantes ne serait pas bien loin...


30 novembre 2017

N°193 - T'ar ta gueule !


J'entends à la radio le Ministre de l'Education nationale, Monsieur Blanquer. Ah, tu ne le connaissais pas encore ? C'est lui qui a pris la place (et le contre-pied...) de Najat V-B. Retiens bien son nom : on dit qu'il s'y préparait depuis longtemps, donc il a envie de rester ! Le sujet du jour c'est l'égalité entre filles et garçons. Rien à voir avec la grammaire inclusive : il a déjà donné (son avis) et même tweeté là-dessus. Ce qu'on lui demande cette fois c'est comment empêcher les garçons d'occuper toute la cour de récré pour jouer au foot, et de tenir les filles en lisière.

Voilà bien le genre de question qui ne se posait pas de mon temps... C'était simple : il n'y avait pas de filles. Enfin, pas de filles à l'école, ni au lycée. Mais on jouait déjà au foot. Enfin, pas tous... Moi j'ai arrêté assez tôt, après avoir pris le ballon en pleine poire. Quand tu portes des lunettes, genre bésicles en fil de fer, et que, sous le choc, les plaquettes s'incrustent dans ton os du nez, crois-moi, ça fait mal. Bon, il parait que choper le ballon plus bas ne fait pas de bien non plus (heureusement ma brève carrière m'en a épargné l'expérience). Donc, je ne jouais plus au foot. Alors, je faisais quoi pendant les récrés ? A vrai dire, je ne sais plus... Pourtant elles étaient longues les récrés, le midi après la cantine, et le soir avant l'étude ! Et il y avait un corniaud qui s'amusait parfois à piquer mon cartable pour m'obliger à le courser... Sinon, à part jouer aux billes ou à chat perché, ou aux quatre coins entre les arbres, ou à la pelote contre un mur du préau, je faisais quoi ? Ben, pas grand-chose... Je devais plutôt glandouiller, assis sur un muret, les pieds ballants, ou tourner en rond et regarder les autres taper dans la balle. Comme les filles, finalement...

Mais voilà que Monsieur Blanquer coupe son intervieweur. Il insinue qu'il doit y avoir un bout de temps qu'il a quitté l'école (même normale et supérieure). Sinon il saurait que, de nos jours, on ne joue plus au foot ni à aucun jeu de ballon dans les cours d'école et de collège. On n'y saute plus à la corde, on n'y joue plus à la marelle, ni aux osselets. On n'y fait plus de partie de cache-cache, ni de gendarmes et voleurs, ni de colin-maillard. On n'y connait plus le jeu du béret, ni la balle au prisonnier, ni Jacques-a-dit, ni 1-2-3-soleil. Aujourd'hui les élèves, tous les élèves, filles comme garçons, restent le long des murs. Ils y sont adossés ou assis par terre, à l'écart les uns des autres. Les écouteurs implantés dans les oreilles, les pouces frénétiques, les yeux rivés sur l'écran de leur smart-phone, ils courent avec Super Mario Run, sautent avec Doodle Jump, bataillent avec Clash of Clans, empilent des briques avec Tetris, les cassent avec Minecraft, tirent au pigeon avec Angry Birds, jouent au foot avec FIFA Mobile... et s'accordent une douceur à la mi-temps avec Candy Crush.

Le centre de la cour est désert. La question ne se pose plus.
Mais, tu sais, la récré m'aurait peut-être paru moins longue, de mon temps, avec un iPhone...



Remerciements : Je tiens à remercier vivement Marine, qui m'a très utilement documenté sur les jeux vidéo populaires dont il existe une version pour téléphone mobile, et judicieusement conseillé dans le choix de ceux que j'ai cités !


14 novembre 2017

N°192 - Novembre



Il arrive aux gens de mon âge, qui voient peu à peu leurs rangs s'éclaircir, de ressentir un petit coup de blues et de tourner leur regard vers les tombes et les épitaphes. C'est moins drôle... Ne m'en veuillez pas : ça va passer.


J'entends à la radio égrener, un à un, les noms des victimes du Bataclan. Il y a quelques jours on se souvenait des millions de morts de la grande guerre. Novembre est le mois du deuil... J'entends aussi qu'un journal allemand vient de publier, sur 48 pages, une liste de 33293 migrants morts en essayant de gagner l'Europe. Noyés pour la plupart, après que les barcasses sur lesquelles on les avait entassés aient chaviré au premier roulis, ou se soient dégonflées comme des baudruches. Fuyant la guerre civile, la peur ou la misère, puis, au seuil du mirage, victimes de la rapacité des passeurs. De la plupart on ne connait que les circonstances du décès, mais ni le nom ni l'histoire : sur son mémorial de papier Der Tagesspiegel n'a souvent pu inscrire que "N.N." *.

Nous avons tous, un jour, été saisis d'effroi devant l'un de ces murs où des milliers, souvent des dizaines de milliers de noms, ou plus encore, sont moulés dans le bronze, peints sur l'enduit, gravés dans le marbre, la pierre blonde ou le granit noir : au mémorial du Vietnam à Washington, au Yad Vashem de Jérusalem, au Ground Zero de New York, à la Synagogue Pinkas de Prague, et tant d'autres... Des murs devant lesquels on s'attarde, sans imaginer pouvoir tout lire. Certains viennent là pour retrouver la trace d'un parent, d'une amie, d'une connaissance. A Washington les rangers leur proposent une petite feuille de papier, un crayon gras et un escabeau pour en garder une empreinte estampée. Les autres, instinctivement, vont à la recherche de ceux ou celles qui portaient leur propre nom.

On reconnait toujours au moins un nom sur le monument aux morts de son bourg ou de son village (l'un de ces cénotaphes dont, ces jours-ci, le film "Au revoir là-haut" nous raconte l'histoire à sa façon).

Le lycée Corneille de Rouen a, lui aussi, son monument aux anciens élèves morts pour la France : une stèle de marbre en bas-relief, placée contre le mur de la galerie d'entrée, face aux portes vitrées de la cour d'honneur et à la statue du grand homme. Surmontée d'un gisant veillé par une femme voilée la dalle porte les noms et prénoms de près de trois cent poilus. Deux plaques plus petites ont été ajoutées de part et d'autre pour ceux de 39-45.
Je passais devant chaque jour dans les années 50... Sans avoir jamais lu tous ces noms, j'avais quand même remarqué qu'un Segrestin y figurait. Quelqu'un dont personne ne savait rien, alors que tous les Segrestin, t-i-n, de la région ne pouvaient qu'appartenir à ma famille, dont on disait que j'étais le premier à aller au lycée... Qui plus est, un Segrestin sans prénom, à peu près seul dans ce cas sur le mémorial ! Pouvait-il s'agir de... moi, ou de l'un de mes frères, inscrit là à l'avance, dans l'attente de la prochaine ? Plutôt, sans doute, de quelque cousin très éloigné, renié peut-être, non identifié en tout cas. D'un déporté, résistant, ou soldat presque inconnu dont la guerre avait pris jusqu'au prénom. Mais que je n'ai pas oublié... 




* N.N. = nomen nescio (je ne connais pas le nom).


29 octobre 2017

N° 191 - Cent fois sur le métier...



J'entends à la radio un topo qui me renvoie à un casse-tête d'il y a quelques mois. C'était à propos d'un grand diner à Bruxelles1. J'ignorais alors qu'un guide du Haut Conseil à l'égalité entre les hommes et les femmes2, laissé trop longtemps de côté (le guide), m'en donnait la solution. Je peux donc livrer maintenant la version définitive de mon texte, rédigée (la version) selon la syntaxe et la ponctuation de l'écriture inclusive3.

Règle n°1 :    Au pluriel, quel que soit le nombre de sujets de l'un et l'autre bords, le masculin ne l’emportera plus sur le féminin. Un "point milieu" les mettra sur le même pied.  Exemple : les candidat•es•s. Plutôt que : les compagnons et compagnes, on écrira : les compagn•ons•es. Ou, si l'on préfère : les compagn•es•ons, mais ce réflexe de galanterie pourrait être jugé discriminatoire...

Application :    "J'entends à la radio que l'autre jour, à Bruxelles, la reine Mathilde a invité à diner les épou•x•ses des chefs d'état qui participaient au sommet de l'OTAN".

NDLR :    Rappelons, pour n'oublier aucun•e Flamand•e ni Wallon•ne, que Mathilde d'Udekem d'Acoz est reine des Belg•es•es•es•es depuis 2013.

Règle n°2 :    On accordera les fonctions, métiers, titres et grades en fonction du genre. Par exemple : une pompière, une maire...

Application :    "J'entends à la radio que l'autre jour, à Bruxelles, la reine Mathilde a invité à diner les épou•x•ses des chef•fes•s d'état qui participaient au sommet de l'OTAN".

Règle n°3 :    On remplacera, chaque fois que possible, les mots "homme" ou "femme" par un terme plus universel.

Application :    "J'entends à la radio que l'autre jour, à Bruxelles, la reine Mathilde a invité à diner les épou•ses•x des chef•s•fes d'état qui participaient au sommet de l'OTAN. Parmi e•lles•ux, pour la première fois, il y avait une personne mariée avec le premier ministre du Luxembourg".

Remarque :    Je reconnais qu'ainsi présentée l'anecdote tombe complètement à plat... Je devine la déception de mes lect•rices•eurs.  Je doute qu'il suffise, pour lui redonner un peu de sel, de rappeler que le premier ministre luxembourgeois et son bourgeois se prénomment Xavier et Gauthier...




3 Qui provoque l'ire de l'Académie Française (cf. : http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive)



30 septembre 2017

N° 190 - En marche !



J'ai entendu à la radio que Levi Strauss et Google ont conçu une veste en jean connectée. Malheureusement mon Levi's® Store de la rue de Poissy n'a pas encore été livré. A défaut, le vendeur me propose d'abord un pantalon denim, en solde parce que sa connectique date du début 2017. Puis, comprenant (enfin...) qu'il a affaire à un geek, il m'offre d'essayer la version béta d'un modèle plus avancé : toutes ses coutures dissimulent des vibrocapteurs, pas seulement au niveau de la ceinture.

Je sors du magasin, active l'appli GPS de mon smartphone et tape ma destination : Paris, rue du Dessous des Berges. Une vibration sur ma hanche gauche me fait prendre à gauche, rue au Pain, puis une autre, à droite, rue de La Salle. Les ourlets qui enserrent mes chevilles frémissent tour à tour, à chaque pas : gauche, droite, gauche, droite... Ils régulent la cadence. Soudain le futal se contracte sur mes ménisques et me bloque net en haut de l'escalator du RER, en panne. Je prends donc l'escalier, où les impulsions s'espacent un peu. Puis leur rythme s'accélère dans le couloir et je comprends qu'il faut allonger le pas pour ne pas rater le train. Juste avant le tourniquet, un chatouillis sur la fesse me rappelle que mon passe Navigo est dans la poche-revolver. A coups de petites pressions sur mes bourrelets, mon jean me conduit vers un wagon où il y a de la place. Il me guide jusqu'à celle que je préfère, en haut, près d'une vitre côté quai. Vraiment, l'exploitation des big-data enregistrées par les caméras de la RATP est remarquable ! Elle me laisse rêveur... jusqu'à ce que tout mon froc grésille et me réveille pour le changement à Gare de Lyon. Je m'abandonne aux vibreurs qui me pilotent vers la ligne automatique M14. L'esprit libre, je ne perds rien des réclames affichées dans le dédale des couloirs. Voilà trois fois que mon smart-falzar ralentit et me fait faire un petit quart de tour vers les écrans où une pin-up sexy surfe, sans se lasser, la même vague bleue d'une plage des Seychelles baignée de soleil... Une gamme de frissonnements fait comme ruisseler l'eau, s'effriter le sable, flamboyer les UV tout au long des jambes de mon grimpant connecté... Une sensation de houle se diffuse depuis la couture de la fourche, sous le regard ensorcelant de la surfeuse... On a dû me fourguer un modèle "djeune"... Un bip de mon smartphone rompt le charme : un SMS me signale une promo sur un séjour à Mahé mi-octobre, un autre m'informe que mon agenda est vierge à cette époque.

Me voici arrivé rue du Dessous des Berges, au siège de la Fédération des Randonneurs. Ma visite n'était pas urgente. Je vais plutôt leur faire part d'une idée qui m'est venue en chemin. Il est temps de laisser tomber le balisage des GR et des PR, d'oublier les marques blanches, rouges ou jaunes ainsi que les topoguides : tout marcheur a son smartphone ; il ne lui manque plus qu'un bénard Quechua connecté.

Cela fait, toujours actionné par mes vibrocapteurs, je pousserai jusqu'au siège Lidl de Rungis. Là, je suggérerai d'améliorer encore les salopettes généreusement fournies aux ouvriers-marionnettes des entrepôts. Grâce aux bleus de travail connectés, Lidl pourra bientôt faire l'économie des casques-audio et de la commande vocale ?


P.S ou N.D.L.R. :   Tout cela existe déjà ou existera sous peu. Si tu en doutes, clique sur :

Pour ce qui est d'un entrepôt Lidl, si tu n'as pas vu "Cash investigation" sur France2 mardi dernier, l'émission est disponible en "replay", par exemple sur : https://www.youtube.com/watch?v=s5uHC6TN2wo.
La séquence qui commence 18 minutes après le début et en dure 4 est sidérante...




31 août 2017

N° 189 - Temps de cochon




J'ai entendu à la radio qu'un tribunal administratif avait annulé l'interdiction des repas sans porc dans les cantines de Chalon-sur-Saône. J'ai entendu... puis je me suis demandé ce que j'avais compris. Je dois dire que le peu que j'ai retenu de mes études tient en quelques principes tels que : commencer par le commencement et bien lire l'énoncé ; ou en des règles simples comme : moins par moins égale plus.
Je reprends l'exercice. Soit : au début les repas à Chalon étaient sans porc. Puis un responsable les a interdits et le tribunal vient d'annuler cette interdiction. Conclusion : on revient à la situation initiale, on ne sert plus de porc dans les cantines de Chalon. CQFD.

J'ai eu l'occasion de parler de ça à mon ami Désiré, le mari de Léonor(1). Lui n'a pas fait beaucoup de maths au lycée, aussi c'est avec ménagement qu'il me dit que, à son sentiment, j'ai peut-être compris de travers(2). Sans doute même tout l'opposé de ce qu'il faudrait. Il m'explique : "Au début, contrairement à ce que tu crois, les repas n'étaient pas sans porc. Par contre il y avait des repas sans porc." Je saisis : "Je vois ! Certains jours on mangeait du porc, les autres non." Désiré demande : "Tu veux dire : les autres enfants ?"  Moi : "Non : les autres jours. Ceux qui ont été supprimés." Désiré rectifie : "On peut manger du porc et pas de porc tous les jours, en même temps." Moi : "Ah, en même temps... Encore les promesses de Macron... Autrement dit, par exemple, quand c'est cassoulet, on peut le garnir d'une saucisse de Toulouse et d'une croquette de poisson pané ?" Désiré, qui est extrêmement patient, s'échine(3) à préciser : "Excuse-moi, j'aurais dû dire : tu peux manger du porc ou pas de porc tous les jours, en même temps." Moi : "Comment ça, en même temps ?" Désiré : "Au même endroit si tu préfères : toi du porc, ton copain pas de porc, à la même table, en même temps." Moi : "Sauf si ça lui coupe l'appétit... En fait, moi, tu sais, je n'aime pas trop le porc. De toute façon je ne mange plus à la cantine."

Là, j'ai senti que je commençais à fatiguer Désiré. C'est sur un ton un peu sec qu'il m'a déclaré : "Ecoute, aujourd'hui, c'est comme ça : tu peux manger du porc et pas de porc, être et de gauche et de droite, être homme et femme ou tout ce que tu voudras, en même temps. Mais je te préviens, je te le dis franco(4), quand la cour européenne de justice aura contesté l'arrêt de cassation du jugement d'appel portant abrogation de l'annulation de l'interdiction de la suppression des menus de substitution sans porc, ne va pas me demander : qu'est ce qu'on mange ?"




1 Je vous les ai déjà présentés, il y a un peu moins de deux ans, au n° 153.
2 De porc, aurait ajouté Boby Lapointe.
3 Dito. 
4 Non, pas là Boby !







25 août 2017

N° 188 - Rentrée


J'entends à la radio que les ouvriers de GM&S sont revenus à l'usine. Pas au boulot, il n'y en a plus, mais à l'usine. Celle où ils pliaient de la tôle pour former des pièces d'auto, à La Souterraine, dans la Creuse.

Curieux nom, La Souterraine. Curieux aussi qu'on précise toujours : dans la Creuse... La Souterraine, dans la Creuse. Autant dire un trou, au fin fond du creux de la France profonde... Essayons de nous mettre à la place des étrangers, Chinois, Syldaves ou autres, qui pourraient être tentés de reprendre la boite. Ils s'aident probablement de google-traduction et ils comprennent quoi ? Que c'est une grotte, une caverne, un gouffre ?
Ils ont entendu parler de Lascaux, bien sûr, alors ils doivent s'imaginer des hommes de Cro-Magnon forgeant dans l'ombre, à coups de massue, des choses dessinées au noir de fumée sur la paroi... Pour eux, La Souterraine, dans la Creuse, cela doit grouiller d'araignées, de chauves-souris et de reptiles myopes comme des taupes. Comment cela pourrait-il les attirer ? Ils hésitent sans doute à investir dans des antres de troglodytes ou des boyaux de mine, à La Souterraine, dans la Creuse... Ils ont aussi peu envie de bosser à La Souterraine, dans la Creuse, que de passer des vacances dans un cul de basse-fosse humide ou des catacombes enténébrées. A la rigueur ils pourraient être tentés d'y forer un tunnel et d'y créer une nouvelle ligne de métro. Mais un métro, à La Souterraine, dans la Creuse, pour aller où ? Ils pourraient être séduits par un projet de galeries où enfouir pour l'éternité des déchets radioactifs HAVL(1). Mais ne verrait-on pas surgir de terre des zadistes, même à La Souterraine, dans la Creuse ?

Alors les GM&S n'ont plus trop le moral... Au début pourtant leurs pères fabriquaient des trottinettes dans la même usine(2). Des trottinettes avec lesquelles ils ont sans doute, eux, fait la course entre copains autour de la grande église de La Souterraine, dans la Creuse, et de sa fameuse crypte. Les trottinettes, ça marchait. Alors pourquoi pas, aujourd'hui, la tôlerie pour voiture ? On a bien ré-ouvert des usines à Le Creusot, dans la Saône-et-Loire...



(1) Déchets de Haute Activité à Vie Longue
(2) Voir le site : http://gms-industry.com







26 juillet 2017

N° 187 - Mesurer à son aune



J'entends à la radio que cinq mille hectares de forêt sont déjà partis en fumée dans le sud-est. Cinq mille, c'est énorme. Mais qui sait encore ce que c'est qu'un hectare ? Le speaker qui répète l'information en boucle a-t-il la moindre idée de ce que cela représente ? Il n'y a que les paysans (et les notaires...) pour avoir ça dans l'œil ! Mais ils ne sont même plus un million en France, où il ne reste pas deux cent mille fermes de moins de vingt hectares.

Je suis souvent effaré par les chiffres qu'on cite à la radio ou à la télé sans trop se soucier de leur signification ou de leur vraisemblance. Tenez, hier, une jeune reporter a décrit l'étendue d'une zone incendiée en estimant sa... circonférence à 14 kilomètres. Doutant que les pompiers lui aient permis d'en faire tranquillement le tour avec son podomètre, je me suis fait mon idée de la surface en cause : si 2pR = 14 km, pR² = 15.6 km². Elle a de la chance la jeunotte (plus que la pinède...) : les deux nombres sont du même ordre. Mais va savoir ce qu'elle appelle circonférence...

Quand il est question de superficie, vous l'avez remarqué, l'unité que les journalistes emploient maintenant le plus souvent, celle avec laquelle ils sont le plus à l'aise, c'est le terrain-de-football. On nous cite par exemple un campus grand comme sept terrains de football. Oui, même pour une université... Pour jouer au foot, je ne vous apprends rien, il faut un terrain rectangulaire de 105 mètres par 68, soit un peu moins d'un hectare. On peut aménager 14 terrains de foot là où il n'y a que 10 hectares de forêt ou de terre à blé. Si le foot n'était pas déjà utilisé par les Anglais comme (petite...) unité de longueur, ce serait de nos jours une mesure de surface bien plus pertinente que l'hectare. Sa concurrente directe (vous l'avez certainement déjà entendu utiliser) c'est le pont-d'envol-de-porte-avions (ou pepa). Cela vaut 1.2 hectares, moins de deux foots, mais c'est beaucoup moins parlant pour le commun des mortels (et, qui plus est, totalement inculte).

Que voulez-vous, il faut vivre avec son temps, en y adaptant ses instruments de mesure... En matière monétaire aussi il y a une unité de compte qui devient incontournable, c'est le pogba. Un pogba vaut 125 millions d'euros*. On parle ces jours-ci du transfert au PSG de M. Neymar, un Brésilien qui joue au ballon à Barcelone, pour un montant de 1.8 pogba. Pour fixer les idées, en réduisant l'APL de 5 euros le gouvernement compte économiser cette année 0.8 pogba. Pourtant, sur les campus de sept foots, les étudiants privés de ces 5 euros ne manqueront pas un match à la télé...



*C'est le montant du transfert de Paul Pogba de la Juventus de Turin à Manchester United l'an dernier.








10 juillet 2017

N° 186 - Ballade des dames du temps jadis




J'entends à la radio, depuis le grand chambardement, beaucoup de gens ou de noms que je ne connais pas. Je ne m'y retrouve plus, je suis un peu perdu...

(D'après François Villon, avec un V...)

Dites-moi où, n'en quel pays,
Est Marisol, dame Touraine,
L'indocile Filippetti
En gros sabots de sa Lorraine,
Duflot, aux ailes d'éolienne,
Taubira, au verbe éloquent,
Fleur Pellerin, la Coréenne ?
Quel beau florilège d'antan...

Où est la loyale El Khomri ?
Une loi qui n'était pas sienne
Lui valut l'injuste mépris
Et la rancune faubouriennes.
Où est Najat, toujours sereine,
Qui prit grand soin que les enfants
Aient des maitres qui leur conviennent,
Meilleurs qu'aux collèges d'antan ?..

Où est l'amère Valérie
Qui prit le pas sur Ségolène ?
Où est la piquante Julie
L'ensorcelante comédienne
La tendre amante élyséenne
Qui égayait ce président
Epris d'elle, ou de prétentaine,
Mais... sans les cortèges d'antan.

Prince, foin de calembredaines,
Il ne faudra pas bien longtemps
Avant qu'un tour nous les ramène :
Un tour de manège d'antan ?




Version originale (1460)

Dictes moy ou n’en quel pays,
Est Flora, la belle Romaine,

Archipïadés, ne Thaÿs,
Qui fut sa cousine germaine,
Echo parlant quant bruyt on maine
Dessus riviere ou sus estan,
Qui beaulté ot trop plus qu’umaine.
Mais ou sont les neiges d’antent ?


Ou est la tres saige Esloÿs,
Pour qui chastré fut et puis moyne
Piere Esbaillart a Saint Denys ?
Pour son amour eust ceste essoyne.
Semblablement, ou est la royne
Qui commanda que Buriden
Fust gecté en ung sac en Saine ?
Mais ou sont les neiges d’antent ?


La Royne Blanche comme liz
Qui chantoit a voix de seraine,
Berte au plat pié, Bietrix, Aliz,
Haranbourgis qui tint le Maine,
Et Jehanne la bonne Lorraine
Qu’Engloys brulerent a Rouen,
Ou sont ilz, ou, Vierges souveraine ?
Mais ou sont les neiges d’antent ?


Prince, n’enquerrez de sepmaine
Ou elles sont ne de cest an,
Qu’a ce reffraing ne vous remaine
Mais ou sont les neiges d’antent ?




26 juin 2017

N° 185 - Caquetage


J'ai entendu à la radio qu'on avait encore pas mal dégagé !... Il y a un mois je connaissais vaguement de nom, de vue ou de réputation un tiers des ministres qui venaient d'être nommés. Aujourd'hui, sur les vingt qui sont encore présumés irréprochables et bons pour le service, je n'en connais plus qu'un quarteron. J'allais les appeler "les quatre vieux de la vieille", en oubliant que la vieille en question c'était la garde de l'empereur, et les vieux, ses grognards. On n'en est pas là, enfin... pas encore.
Avant, avant la révolution, mes quatre briscards n'étaient même pas de la même clique : le premier tissait sa toile entre Croix-Rousse et traboules, le second vaquait de l'arsenal de Lorient à ceux du Moyen Orient, le troisième faisait dans le mille-feuille* et le dernier prêchait la télécologie. A propos, celui-là ne doit pas avoir beaucoup d'atomes crochus avec son patron... On le sait, l'atome n'est pas son truc : on dit qu'il en fait des cauchemars de Fukushuaïa ! Quant à son patron, on verra : arrivera ce qu'areva...

Souhaitons en tout cas que personne n'ait plus à quitter le gouvernement comme un malpropre. Mais, on le sait maintenant, il suffit d'un rien pour qu'un corbeau adresse un poulet au Canard et que la volaille qui fait l'opinion, comme dit Souchon, de peur d'avoir été pigeonnée, pousse des cris d'orfraie. Et pour que le dindon de la farce se retrouve le bec dans l'eau.

Je ne veux pas jouer les oiseaux de mauvais augure, hulot ou autre. Je me garderai de ternir la blancheur de la collomb confrontée aux nuées de migrateurs (quoique...). Je ne tiens pas à porter la poisse à quiconque. Et je m'en voudrais en particulier si la ministre des affaires européennes, la petite Mme Loiseau, en venait à se faire du mouron...


 * Tout le monde a lu, bien sur, les mille pages du programme de B. Le Maire pour l'une des primaires.


30 mai 2017

N° 184 - Etude de genres




J'entends à la radio que l'autre jour, à Bruxelles, la reine Mathilde a invité à diner les épouses des chefs d'état qui participaient au sommet de l'OTAN. Parmi elles, pour la première fois, il y avait un homme, le mari du premier ministre du Luxembourg.

Vous comprenez tout de suite que j'aborde là un sujet délicat, qui nécessite que je pèse mes mots. Je vais d'ailleurs corriger mon premier paragraphe à l'instant.

J'entends à la radio que l'autre jour, à Bruxelles, la reine Mathilde a invité à diner les époux des chefs d'état qui participaient au sommet de l'OTAN. Parmi eux, pour la première fois, il y avait un homme, le mari du premier ministre du Luxembourg.

J'en suis navré pour mes lectrices mais notre grammaire est sans équivoque : il suffit d'un seul sujet masculin au milieu de dix sujets féminins pour que le masculin l'emporte. Voyons quand même si je peux contourner cette difficulté en employant  d'autres mots qu'épouse et époux.

"La reine Mathilde a invité à diner les compagnons des chefs d'état..." Non : il y a dans la sonorité du mot compagnon quelque chose de viril qui ne lui permet pas de désigner aussi des compagnes. Qui oserait, par exemple, présenter Melania comme le compagnon de Donald, quand c'est lui qui a la pogne et le pognon ?

Tentons autre chose : "La reine Mathilde a invité les conjoints des chefs d'état..." Ca, c'est mieux. Conjoint a une connotation vaguement administrative, presque neutre, qui peut faire l'affaire, d'autant plus que son féminin, conjointe, s'en distingue à peine. Cependant deux conjoints ont a priori gravé un jour leurs "noms au bas d'un parchemin1". Qui sait si toutes ces personnalités sont, comme le premier ministre Luxembourgeois, bel et bien mariées (là, le féminin s'impose, à cause de personnalités) ?

Ce qu'il me faut, c'est clair, c'est un nom qui n'existe que dans un seul genre. Il y a bien moitié... Quelqu'un vous a certainement déjà présenté sa moitié ? Voyons ce que cela donne : "La reine Mathilde a invité à diner les moitiés des chefs d'état qui participaient au sommet de l'OTAN. Parmi elles il y avait un homme, le mari du premier ministre du Luxembourg". Rien à dire, c'est correct. A condition de bien insister sur les moitiés. Mais le mot moitié suggère encore un lien marital, qui n'a rien d'obligatoire... 

Alors, pourquoi pas consort ? "La reine Mathilde a invité les consorts des chefs d'état..." A première vue ce mot convient puisqu'il sert à désigner qui partage le sort (pas forcément enviable) d'une tête couronnée. Malheureusement, tant que l'Académie n'en décide pas autrement, consort, dans cette acception, n'est pas un nom : c'est un adjectif, et qui plus est strictement masculin : on ne dit pas princesse consorte...

Donc, ça ne va pas non plus ! Sans compter que la question ne concerne pas que les chefs d'état. J'ai participé moi-même à bien des colloques où je restais enfermé avec mes semblables dans une salle obscure, au sous-sol d'un hôtel ou d'un palais des congrès, tandis qu'un programme touristico-culturel était proposé aux accompagnatrices... Y aurait-il un synonyme, sans genre défini, d'accompagnateur et accompagnatrice ?

Après tout je vais écrire simplement : "L'autre jour, à Bruxelles, la reine Mathilde a invité à diner les mecs et les meufs des chefs d'état qui participaient au sommet de l'OTAN. On y comptait entre autres le mari du premier ministre du Luxembourg2". Et je vais, enfin, pouvoir continuer ma chronique !

Mais c'est peut-être un peu déplacé ?
Je ne sais plus... Je renonce... Qui a une meilleure idée ?




1 Brassens : "La non-demande en mariage".

2 Vous ne connaissiez peut-être pas Gauthier Destenay, le mari de Xavier Bettel, premier ministre du Luxembourg. Architecte de profession, il forme avec lui le premier couple masculin marié à la tête d'un Etat.







22 mai 2017

N° 183 - V'la l'bon vent, v'la l'joli vent...




J'entends à la radio François Baroin qui cite Jean Guitton pour fustiger les transfuges de LR1 : "Etre dans le vent, c'est avoir le destin des feuilles mortes".

N'attendez pas que je me mêle de cette chicane. Par contre il n'est pas question que je laisse médire des feuilles mortes : je leur dois trop. Elles ont joué un grand rôle dans ma carrière. C'est l'un de mes points communs avec Lionel Jospin. Nous avons le même âge (à un an près) la même taille (à un centimètre près) et tous deux cinq frères et sœurs (à deux sœurs près). Lui, ce qui l'a fait connaître c'est son interprétation des "feuilles mortes", fin 84, à la télé, chez Sébastien2. Moi, ce qui m'a rendu irremplaçable au boulot à la même époque, c'est de les chanter au Japon.

Après de longues journées à subir mes exposés techniques, mes collègues nippons m'emmenaient souvent boire quelques verres de mizuwari3 et grignoter des tsukemono4 dans l'un ou l'autre des innombrables petits bars nichés dans les étages des quartiers plus ou moins chauds d'Osaka ou Tokyo. Là, j'étais accueilli par des hôtesses en kimono, gracieuses et empressées, qui, assises près de moi, m'aidaient à décortiquer les cacahuètes et riaient, la main devant la bouche, quand je tentais de dire deux mots en japonais. Puis venait le moment où elles m'invitaient à chanter. On n'en était pas encore au karaoké sur grand écran : on m'apportait des livres de chansons et des recueils de partitions épais comme feu le programme de Bruno Le Maire. Mais presque tout le répertoire était japonais, le reste était anglais ou américain. Si, en cherchant bien, je tombais sur une page en français, c'était un tube d'Adamo. Je déclinais : c'est du belge ! 
Alors, rassemblant mes souvenirs, je tentais "Les feuilles mortes". Il arrivait qu'un pianiste connût un peu l'air et pût m'accompagner. Le plus souvent je me lançais a cappella. Parfois une hôtesse se joignait à moi en fredonnant des la la la. Le bar entier faisait silence pour écouter ce gaikokujin5 qui chantait une chanson inconnue et incompréhensible... avant de lui faire une ovation ! Mes collègues mirent de côté le texte que j'avais réussi à reconstituer pour en distribuer des copies aux bars où ils avaient leurs habitudes (et des flacons de whisky étiquetés à leur nom dans de hautes armoires vitrées). Je n'y coupai donc plus...

Jospin est tombé dans la nuit froide de l'oubli en 2002. Moi, mes Japonais ont réclamé que je revienne de temps en temps, pour un séminaire ou un colloque, jusqu'en... 2007.

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi...

Dites, François Baroin, c'est quand même beau à l'automne un arbre qui se bariole progressivement de feuilles de toutes couleurs... 
Et puis, prendre le vent, c'est aussi le pari d'un voilier et de son équipage...




1 - Meeting LR à Paris le 20 mai dernier.
2 - Agacé des leçons de politique qu'Yves Montand administrait à la gauche, le premier secrétaire du PS voulait lui signifier ainsi : à chacun son métier.
3 - Du whisky allongé d'eau (Suntory en général).
4 - Des amuse-gueule salés. 
5 - Etranger.


17 avril 2017

N° 182 - Le Chemin des Dames

       

La périodicité de mes chroniques est, vous le savez, assez aléatoire... Celle-ci suit vraiment de très près la précédente mais cette fois ce n’est pas du tout un billet d’humour, ni tout à fait d’humeur : plutôt d’inquiétude. Et s’il y a une raison de partager cette inquiétude vous comprendrez pourquoi c’est maintenant, pourquoi c’est cette semaine. J’ai pensé un moment n’adresser cela qu’aux plus jeunes de mes “abonnés” mais, après tout, pourquoi ne pas confier à tous ce que j’ai sur le cœur ?


J'entends à la radio des échos du centenaire du Chemin des Dames. Nous sommes passés par là il y a une dizaine d'années. Une réunion de famille nous avait menés à Valenciennes pour un weekend. C'était en octobre, l'automne était ensoleillé, l'idée nous est venue de descendre vers le sud sans nous presser, en multipliant les étapes dans des régions et des villes que nous connaissions mal. Ainsi nous avons musardé par Laon, Epernay, Tonnerre, Chalon-sur-Saône, la Bresse, avant de rendre visite à nos amis du Beaujolais, dans leur village aux belles pierres dorées. Puis nous avons continué par Le Puy-en-Velay, la Lozère, Mende, suivi un bout du chemin de Stevenson, fait halte à Uzès, Avignon, avant de nous poser chez nos amis d'Aix-en-Provence et flâner avec eux sous les platanes. Dix jours de balade paisible, du nord au sud, sans cesser de nous dire que nous habitons un bien beau pays...

C'est au début de ce périple, entre Laon et Reims, que j'ai eu envie de faire un détour par le Chemin des Dames. Nous avons donc fait halte un soir à Craonne, dans une chambre d'hôte sans charme. Le lendemain matin nous avons gagné les collines et laissé la voiture dans une clairière silencieuse. Puis nous avons suivi au hasard quelques chemins sous les arbres, entre les bosses herbues et les creux des anciens cratères, avec ici ou là de rares bouts de mur, sans presque rien dire. Dans un tel lieu, c'est instinctif : si agréable que soit l'ondulation des collines, si plaisante que soit la forêt, on n'ose pas élever la voix.

Ce besoin d'aller là, d'y marcher, de regarder, en pensant "c'était là", peut paraitre incompréhensible. Certes, je suis né avant guerre, mais avant la deuxième, pas la première, pas la "grande"... Mais je gardais à l'esprit, depuis plus de cinquante ans, un souvenir vif et perturbant et comme un besoin de comprendre. Cela date des premières années du lycée, qu'on appelle maintenant le collège. J'étais sans doute en 4eme et Michel en 5eme. C'était probablement un dimanche et nous déjeunions tous les six et nos parents chez notre grand-père et nos tantes, sur les hauteurs de Rouen. Mon grand-père, qui avait fait 14-18 bien sûr et eu la chance d'en revenir, mais qui n'en parlait guère, portait une superbe moustache en guidon. Il pratiquait, sans en abuser, un humour un peu caustique et vache qui faisait nos délices quand nous n'en étions pas la cible. A un moment du repas il a demandé comment ça marchait au lycée et mon frère, qui faisait allemand première langue, a été tout heureux, tout fier de lui dire qu'il avait déjà un correspondant. Je me souviens encore de m'être senti comme pétrifié, gelé sur place, en voyant mon grand-père pâlir, se crisper, contenir avec peine une espèce de rage froide et lui lancer : "Eh bien, quand tu lui écriras, dis-lui de saluer de ma part son grand-père : j'ai dû le rencontrer au chemin des dames" ! Là, ce n'était pas pour rire... Je ne devais pas bien savoir à l'époque, ou pas du tout, ce que c'était que ce chemin des dames. Mais il n'y avait aucun doute : mon grand-père en avait un très, très mauvais souvenir et cela avait à voir avec ces "boches" qu'il ne portait pas dans son cœur et contre lesquels il avait fallu "remettre ça" vingt ans après.

Voilà, c'était il y a peut-être soixante six ans. Depuis nous avons enfin fait la paix avec les boches, et les autres. Ensemble nous avons entrepris de faire l'Europe et depuis plus de soixante six ans nous n'avons pas "remis ça".
Depuis, on n'imagine pas revoir chez nous, ni dans ce bien beau pays ni chez nos voisins, des centaines de milliers de jeunes gens massacrés, jeunes, tout jeunes, en quelques semaines, comme au Chemin des Dames, dans une bataille pour rien. Pour rien, sauf nous convaincre de faire la paix, de faire l'Europe.
Aussi, quand j'entends des candidats à l'élection présidentielle clamer qu'il faut sortir de cette Europe, sans attendre, ou, tout au plus, après avoir bâclé un vague plan A ou B, je frémis. L'Europe n'est pas parfaite, loin de là. Rien n'est parfait... Mais ce qu'on attend d'eux ce sont des idées, de l'imagination, du travail, pour améliorer encore et encore les choses ! Pas de la paresse, pas de la facilité, pas la lâcheté de jeter le bébé avec l'eau du bain et la baignoire au lieu d'en prendre soin, de l'élever, patiemment, courageusement. 
Alors je vais voter, bien sûr, mais pas pour ceux-là !








Mon grand-père c'est celui qui, en bas, à demi assis, parait le plus petit. En 17 il avait 30 ans et était père de deux très jeunes garçons. Mes quatre tantes, dont celle qui a retrouvé cette photo, n'étaient pas encore nées. Heureusement, lui, il est revenu. Ses copains, certainement pas tous...