28 décembre 2023

N° 290 - L’équipée d’Udine

L’actualité est depuis un bon moment tellement déprimante, inquiétante et même effrayante que je préfère tourner la page de 2023 sur de vieux souvenirs. Ce qui suit remonte à il y a déjà bien longtemps mais cela reste pourtant, j’en suis étonné, assez précis dans ma mémoire...

 

Le lavabo à robinets dorés de la cabine acajou du wagon-lit est parfait pour un brin de toilette. Nous approchons de Mestre. Le steward qui remporte le plateau du petit-déjeuner m’explique la demi-heure de retard : cette nuit des malfrats ont tenté de forcer des compartiments ! Je ne me suis rendu compte de rien, je n’ai donc pas trop mal dormi.

Le petit matin de février est humide, frisquet, brouillardeux. Je traverse l’esplanade dallée qui sépare la gare de l’embarcadère. Un bateau-taxi m’emmène vers la place Saint-Marc. Le rio dans lequel il s’est engagé débouche sur le Grand Canal. Des façades de dentelle gothique sortent de l’eau grise, la brume estompe les colonnades des palais de marbre, il n’y a pas grand monde devant celui des Doges et les mosaïques d’or des coupoles de la basilique ne scintillent que pour moi. Le dédale des ruelles me conduit au Rialto d’où le vaporetto me ramène à Santa Lucia. Là, je me jure de revenir à Venise, le plus tôt possible !

Le train pour Udine est à quai. J’y trouve ma place et notre agent italien dont je fais connaissance : Luigi, enrôlé depuis peu et pas trop féru de technique, n’en sait guère plus que moi sur l’objet du rendez-vous. Heureusement, il parle français.

Tout un groupe nous attend dans la gare de Udine. Je serre des mains : je comprends qu’il y a là des huiles du ministère de l’agriculture, d’autres des eaux et forêts, des ingénieurs, en chef, en second, des responsables provinciaux, des directeurs, des adjoints, des chauffeurs. Le convoi de quatre voitures quitte Udine et prend la route de plus en plus sinueuse des collines. 

Nous nous élevons bientôt dans un paysage de vignobles, à perte de vue. Nous nous arrêtons enfin près d’une grosse bâtisse qui domine le coteau. Je serre la main du viticulteur, de ses fils, de ses voisins. Buon giorno, ben venuto... Nous descendons de quelques pas entre les rangs de ceps en terrasses, jusqu’à une restanque de pierres sèches plus ou moins effondrée. Ils sont curieux de savoir si l’on pourrait la reconstruire avec notre procédé, sur une trentaine de mètres et un à deux de haut. Ce n’est pas, loin de là, l’affaire du siècle, ni vraiment bien adapté, mais je concède que cela serait faisable (après tout je suis venu pour ça). Quelqu’un me promet un relevé du terrain.

Le chai de la maison est grand ouvert et le vigneron a dressé des tables devant les futs. Nous ne saurions repartir sans gouter son vin du Frioul, son blanc sec et corsé, son rouge frais, et trinquer tous ensemble. Les rasades sont généreuses : saluti ! On finit quand même par reprendre les voitures : il est question de déjeuner. Le convoi s’arrête un instant sur la crête pour admirer le panorama et me montrer, juste au-delà de la première ligne de collines, la Yougoslavie du Maréchal Tito. Ce n’est plus l’Europe... La caravane dévale bon train, enchaine les épingles à cheveux jusqu’au fond de la vallée, jusqu’à une auberge, un grand chalet aux façades peintes de motifs de chasse et de forêt. Nous formons une longue tablée, il y a du gibier au menu, en abondance. Le directeur régional des vignobles choisit lui-même les bouteilles qui le mettront en valeur. Les conversations, de plus en plus animées, se croisent au-dessus de ma tête. Entre ristretto et grappa je devine qu’on se met d’accord sur un détour.

Le convoi se reforme et repart vers les hauteurs. Les lacets se succèdent mais Luigi, un Milanais, ne saurait dire où nous allons. Quand, au bout du chemin, les voitures entrent en trombe dans la cour d’une grande ferme et s’y garent côte à côte, des gens surpris ouvrent des fenêtres, sortent sur les seuils en tenue de travail. Personne n’a été prévenu (il n’y avait pas d’iPhone du temps de Tito...) Le patron, patriarche corpulent en salopette, coiffé d’un vieux galure, connait à peu près tout le monde. Petit à petit des parents, des employés se joignent à lui, bien que la maitresse de maison cache mal qu’elle se serait bien passée du dérangement. On débarrasse de grandes tables devant la maison, on aligne des bancs, on sort des verres, des olives, des salami, des gressini. On me souffle que nous sommes là au cœur des meilleurs crus. L’hôte, tout en parlant vendanges, vinification et, à bon entendeur, subventions qui tardent, fait déboucher les bouteilles dans un ordre savant. On passe posément d’un pinot jaune paille à un rosso rouge grenat, puis d’un blanc orangé à un rosé moelleux et fruité. Les connaisseurs accompagnent chaque nouveau verre d’appréciations inspirées. Sur un signe du patron une jeune caviste a préparé un carton dont elle me montre le contenu avant de serrer la boucle de corde qui me servira de poignée : quatre bouteilles différentes, identifiées au stylo bille sur des étiquettes d’écolier.

Le jour baisse, il est temps de regagner la gare de Udine. Ce n’est pas tout près... Le convoi fait au plus vite mais, à l’entrée des faubourgs, la voiture de tête s’arrête et le meneur du groupe en descend. Le doigt sur le cadran de sa montre il constate que, le train partant dans trois minutes, je ne l’aurai pas. N’insistons pas... Frappons plutôt, du heurtoir, à cette grande porte cochère devant laquelle nous nous sommes arrêtés. Elle s’ouvre sur un autre cellier, vaste et sombre. Ses propriétaires, bien que pris de court eux aussi, se mettent immédiatement en quatre pour accueillir ces messieurs influents. L’éclairage caresse maintenant le bois blond de la charpente et de ses poteaux massifs ; d’énormes tonneaux bruns sont alignés sur de grosses poutres de chêne. Il y fait bon... Assis entre les futs, nous grignotons des galettes de polenta, des petites tranches de speck, des toasts de tapenade, des lamelles de prosciutto. Nous goutons un à un les vins de la maison, issus de vignobles cette fois plus proches de la côte et de cépages différents mais tout aussi plaisants... On me cite des noms, que je ne retiendrai pas. Tout à ces saveurs et à ces odeurs, bercé par le babillage dont je ne comprends mot, je me sens bien...

Mais, soudain, il faut se secouer, remercier, dire rapidement ciao à ceux qui rentrent chez eux, se faire déposer à la gare, monter dans le train avec Luigi car, finalement, nous allons à Milan. Je ne sais trop l’heure qu’il est, ni s’il y a des changements. Cela prend des plombes, où je somnole. Luigi m’abandonne au bas du grand escalier de la gare centrale, déserte, avec mon attaché-case et le carton dont la corde me cisaille les doigts. Luigi m’a recommandé de prendre le premier train qui passerait par la Suisse car on annonce une grève des chemins de fer ce matin. J’entrevois un grand lac, puis des tunnels, le Jura... Je retrouve la voiture au parking de la Gare de Lyon. Je rentre chez moi où l’on s’inquiétait d’être sans nouvelles (il n’y avait pas d’iPhone du temps de Tito...) Je range les bouteilles. Le lendemain, au bureau, on s’étonne que j’aie été absent si longtemps : ‘’Quoi, deux jours pour un mur de cinquante mètres carrés ?? Et en wagon-lit !..’’

 

Epilogue

Le petit mur fut commandé et construit. Mais ce ne fut, pour cette application, qu’un prototype sans lendemain. Si ce n’est qu’à peine terminé il résista (bien sûr !) aux séismes de 1976, ce qui lui valut une petite place dans les annales...









6 novembre 2023

N° 289 - Volare, oh, oh...


Franchement il y a des moments où l’on aimerait pouvoir s’échapper, s’envoler, loin, très loin, à tire d’ailes, haut, très haut, plus haut... qu’un drone.

J’entends à la radio, cela tombe bien, que l’American Ornithological Society va débaptiser des centaines d’oiseaux au motif que leurs noms, qui les associent à des personnages maintenant controversés, pourraient être offensants. Les exemples que j’entends ne donnent pas l’impression que ce sont les oiseaux qui pourraient se vexer: ils ne sont pas en cause... au contraire de ceux dont on échange parfois les noms d’un banc à l’autre du Palais Bourbon.

Il est vrai qu’on ne se méfie pas assez, qu’on ne sait pas toujours à qui l’on a affaire, même parlant d’oiseaux. Tenez, le fou de Bassan : c’est qui ce Bassan, à quel point peut-il être dangereux ? Prenez le Jean-le-Blanc du circaète : est-ce qu’il est vraiment blanc comme neige, plus blanc que blanc, sans rien à cacher ? Et le bécasseau Bonaparte, qu’est-ce qu’il a à voir avec ce grand manchot qui ne révèle même pas le nom de son empereur ? Quant aux deux copines qui marrainent le faucon d’Eléonore et la mouette de Sabine, va savoir si ce sont des personnes bien comme il faut... C’est sûr, il faudrait tout vérifier, tout expurger...

L’un des premiers visés par l’AOS serait un puffin, l’Audubon’s shearwater, un bel oiseau de mer qui aime planer au ras des flots des Caraïbes, fendre l’eau du bec pour saisir un poisson sur un battement d’ailes et ne retourner nicher sur son ilot qu’à la tombée de la nuit. Mais ce n’est pas au puffin que s’en prend l’AOS, c’est à Jean-Jacques Audubon, un breton devenu américain du temps de Napoléon, un aventurier romanesque qui, trente ans durant, traqua les oiseaux de l’Amérique du Nord pour les observer, les décrire et les peindre avec le plus grand talent. 
Je n’en savais rien avant de découvrir, à Key West où il avait séjourné, de superbes planches exposées dans une maison coloniale aux vastes ''porches'', aux larges galeries ouvertes sur un jardin tropical de rêve... 

Mais il parait qu’Audubon employait des esclaves dans la plantation qu’il laissait gérer à sa compagne tandis qu’il poursuivait, lui, d’Appalaches en bayous, de Floride en Rocheuses, la crécerelle et le balbuzard. On dit aussi qu’il avait la gâchette du long rifle un peu facile pour se fournir en modèles, dont il ne tirait pas seulement le portrait. Sans compter, c’est vrai, des origines pas très claires et des faux papiers d’immigré clandestin. Bref, laissons l’AOS trouver à son puffin un prête-nom plus politiquement correct. Oublions Audubon.... D’autant, je l’avoue, que je ne puis m’empêcher d’associer à son patronyme une fameuse réclame : dubo, dubon, dubonnet... tout en ayant bêtement en tête un refrain enfumé : j’en ai du bon et puis du bon et puis du bon, bon...

Allez, on redescend, on se pose...


Qui a soufflé qu'il ne faudrait pas jeter un couffin de poussins de puffin avec l'audubon ?

26 septembre 2023

N° 288 - Encore des mots, toujours des mots...

 J'entends à la radio (oui, je vous rassure, elle remarche !) j'entends un chroniqueur de géopolitique commenter l'obligeance suspecte que manifeste aujourd'hui la Chine de Xi-Jinping à l'égard de la Syrie de Bachar-el-Assad, ou ce qu'il en reste. Il en voit le Chinois comme un futur hégémon. J'avoue que ce mot, que je n'avais certainement encore jamais employé moi-même, m'a interloqué. J'ai eu la curiosité d'en vérifier le sens. J'entends déjà les taquins prédire, en échangeant des coups de coude : "Attends, il va ressortir son vieux Lexis, édition 1975". Eh bien ! le mot hégémon n'y figure pas. J'attire au passage l'attention sur le point d'exclamation qui, n’interrompant pas ici vraiment la phrase, n’oblige pas à user après lui de la majuscule. Même la définition de l'hégémonie, dont je soupçonnais évidemment qu'il fût l'étymon, n'y fait pas référence. Je reconnais d'ailleurs à cette occasion que je n'avais encore jamais noté non plus qu'on désignât ainsi la racine qui donne l'étymologie d'un autre mot. Mais qu'il ignore l'hégémon n'est pas une raison pour me débarrasser de mon Lexis, pour le balancer dans quelque escalier aussi infamant que les gémonies où les Romains abandonnaient les suppliciés aux vautours. Ceci n'est qu'une autre parenthèse car les gémonies n'ont rien à voir, bien sûr, avec l'hégémonie. C'est pourtant wikipédia qui m'a rappelé le rôle de commandant en chef, tant militaire que politique, qu'avait l'hégémon chez les Grecs. Tout en citant l'exemple incongru de Ponce Pilate, préfet romain de Judée, plus connu pour ses ablutions et le soin qu'il mettait à se laver les mains que pour ses capacités à gouverner. L'hégémon incarne donc la puissance sans partage qu'exerce son propre pays sur quelques autres. La déclinaison du mot est limpide, naturelle, automatique : l'hégémon est l'artisan de l'hégémonie. Tout comme un cérémon doit être l'organisateur indispensable de grandes festivités, dont un philarmon dirige avec soin le programme musical, tandis qu'un parcimon veille, lui, à la dépense ? A l'accueil ce sont sans doute des chirognomons qui serrent la main des visiteurs et dérident les acrimons, que des physiognomons prennent quand même soin d'identifier par reconnaissance faciale ?

Chers amis lecteurs de "mots parallèles", quelle chance vous avez d'élargir ici les champs de vos connaissances et de votre vocabulaire !...




1 juillet 2023

N° 287 - Che calcio !

Je n'entends plus rien à la radio, désolé... Elle grésille, elle crachouille, toute brouillée et parasitée... Je l'avais, c'est vrai, à peine écoutée depuis un bon moment et vous vous en êtes rendu compte, vous qui, nombreux, vous êtes étonnés, sinon inquiétés, de mon silence. Mais, voilà, depuis plus d'un mois nous avons d'abord fêté à une semaine d'intervalle deux jeunes et jolies mariées, deux de nos petites filles, puis enchainé deux superbes voyages d'une dizaine de jours, en Alsace et en Italie. Les lacs des Vosges, c'est beau, bien sûr, mais les grands lacs qui se succèdent dans leurs écrins de montagne, du Piémont au Haut Adige, c'est autre chose. Et les cimes acérées des hautes falaises abruptes des Dolomites, c'est quand même plus impressionnant que le Grand Ballon.

Mon petit pocket-transistor DT-250 n'avait pas bougé de la table de nuit. Il était là, en veilleuse, quand sur le versant d'un lac lombard j'ai retrouvé l'ancien collègue avec qui j'avais déjeuné le midi même, face au château de Saint Germain. Le lac miroitait tout en bas de la colline où, du bout du pied, nous échangions des passes de ballon. Au-delà de la rive d'en face les crêtes, suisses sans doute, se découpaient à contre-jour et le sillage des bateaux de promenade tranchait le scintillement argenté de l'eau. D'autres anciens que nous avions évoqués à table se sont joints à nous petit à petit, avec leurs ballons, élargissant le grand cercle montueux et pentu de nos passes croisées. En bas, à un kilomètre ou deux, des vedettes au mouillage étaient amarrées à la jetée du port. Un jeune camarade tenta d'atteindre celle du bout par un long tir en cloche qui fit flop. A mon tour je pris alors un élan formidable, d'une large torsion du buste, et décochai du pied gauche un tir puissant et tendu vers le plus gros des bateaux. Empêtré dans la couette j'atterris à plat-dos sur le plancher, la nuque endolorie par le choc sur le plateau de la table de chevet. Mon poste ne marche plus, il est détraqué. Si jamais le vôtre vous apprend qu'un ferry-boat a coulé en face de Bellagio, soyez gentil, ne dites rien.




 

17 avril 2023

N° 286 - Modes de chez nous


"J'entends à la radio" ne conviendra pas cette fois comme entrée en matière. Honnêtement, s'agissant d'une nouvelle un peu défraichie, je devrais plutôt écrire : "J'ai entendu". Ou même, ayant l'ombre d'un doute sur sa véracité et ne sachant trop quand je l'ai reçue : "J'avais entendu". Si du moins cette inflexion peut excuser une mémoire qui tend à flancher ou une petite propension à faire du moindre souvenir une fable ? 

Mais c'est peut-être à tort que j'attribue une nuance d'à-peu-près, une suspicion de sujet à caution à ce temps composé du mode indicatif qu'est le plus-que-parfait. Plus que parfait... La perfection, dit-on, n'est pas de ce monde, exception faite, semble-t-il, du monde de la conjugaison. Le plus-que-parfait n'ajoute pourtant qu'un tout petit degré à l'imparfait. Pourquoi d'ailleurs le parfait n'aurait-il pas sa place dans le mode indicatif, entre l'imparfait modeste et ce plus-que-parfait prétentieux ? Finalement mon propos ne serait pas moins pertinent si j'évoquais ce qui me vint à l'esprit après que "j'eus entendu à la radio", quitte à passer carrément au passé antérieur. Autrement dit au passé d'avant, au passé du passé. A une époque où je n'avais peut-être même pas la radio. Mais je regretterais ce faisant la petite touche d'incertitude que je souhaitais insinuer en sous-entendu.

Peut-être aurait-il mieux valu que j'abandonnasse l'indicatif trop péremptoire pour explorer les ressources du conditionnel, plus nuancé. En écrivant par exemple, au passé simple : "J'aurais entendu à la radio, si j'en avais eu une". Ou en optant pour le conditionnel-temps et son parfum de retour du futur dans le passé, un rien science-fiction, qui pourrait faire l'affaire : "Je n'imaginais pas que j'entendrais à la radio". Encore que l'incertitude porte là plutôt sur le temps que sur le fond. Tout compte fait c'est peut-être avec le mode subjonctif que je parviendrais le mieux à concéder un doute, une hypothèse, une réserve. En ayant toutefois encore à choisir entre le passé : "Admettons que j'aie entendu à la radio" ; ou l'imparfait : "Si le hasard avait permis que j'entendisse" ; ou, une fois de plus, l'incontournable plus-que-parfait : "Eussé-je été plus attentif, j'eusse entendu à la radio". Dilemme...

Une chose est certaine : il n'y a rien à espérer du mode impératif. Curieux d'ailleurs qu'on ne puisse se l'appliquer à soi-même qu'en dédoublant sa personnalité : "entends la radio" ; ou en la faisant se fondre dans un groupe : "entendons la radio". Ce mode au ton si pressant, si contraignant, si impérieux... Celui de Don Diègue ordonnant au Cid : "Va, cours, vole et nous venge !"
Je vous prie de m'excuser un instant : mon correcteur intelligent d'orthographe artificielle exige que j'écrive : "nous vengeons". 
C'est réglé. Mais je ne sais plus de quoi je voulais vous parler en commençant...




25 mars 2023

N° 285 - A court d'eau bénite ?

 J'ai entendu à la radio que les légumistes de Perpignan, désespérés de voir leurs laitues et leurs concombres sécher sur pied, ont emmené Saint Gaudéric faire le tour de leurs maraichages pour qu'il prenne conscience de la situation.

Ils ont été exaucés : il a plu comme vache qui pisse dès le lendemain matin. Mais je ne vous dis pas le ramdam en très haut lieu ! Saint Patern, un ancien évêque de Vannes qui garde un œil sur la récolte de la charlotte du Morbihan, n'a pas apprécié du tout de se faire griller la politesse. Mais ce ne fut rien comparé au courroux des deux frères Saints Maux et Vénérand qui veillent depuis des siècles sur la fraicheur des pâtures du diocèse d'Evreux : on aurait quand même pu se mettre d'accord pour pleuvoir tous ensemble sur les paroisses de France, sans tirer la couverture nuageuse à soi !

De toute façon il y a longtemps que les paysans ont fait une croix sur Saint Médard, ce picard pas si bon apôtre qui refuse obstinément toute coopération pluvieuse avant juin, où c'est déjà trop tard, et qui ne promet jamais, au mieux, qu'une resucée dans six semaines. Ils se méfient aussi de Saint Barnabé, un levantin qui ne connait rien à nos terroirs mais qui serait capable de lui couper l'eau et l'herbe sous le pied dès la première drache. Il n'y a même plus un fermier qui prenne Saint Gervais au sérieux quand il prétend refaire le coup de la Saint Médard, dix jours après... 

Il reste quand même quelques croquants prêts à s'en remettre à Saint Antoine : puisqu'il a arrêté l'ondée qui menaçait ses ouailles (tu parles d'un miracle...) il peut bien en déclencher une à la demande ? Mais j'ai eu, moi, un ami parachutiste - paix à son âme - qui, un jour, est parti en torche. Il a levé les yeux vers là d'où il tombait et il a appelé : "Saint Antoine, aidez-moi !"  Alors sont sorties d'un nuage une main, qui a saisi sa toile, et une voix :"Quel Saint Antoine ?" "Euh... Saint Antoine de Padoue." Alors le Saint Antoine a lâché : "C'est pas moi", et le parachute. Vous la connaissiez, bien sûr, mais elle est bien bonne. Surtout la chute. Alors, vous savez, faire confiance à Saint Antoine, même pour un parapluie...

Savoir à quel saint se vouer, c'est un sacré problème... A mon avis, plutôt que de prier, essayez donc de chanter maintenant, de votre pire. Ca n'est pas ça qui manque, chez nous, les chansons à pleuvoir : "Il pleut sur Nantes", de Barbara ; "Le jour où la pluie viendra", de Bécaud ; "Un p'tit coin d'parapluie", de Brassens ; "Il peut pleuvoir", de Brel... Tiens, il me manque le cinquième B ? Ah, Béart ! Mais pour Béart "il fait toujours beau quelque part".




2 mars 2023

N° 284 - Méga-bassin

 

J'entends à la radio que nous allons peut-être manquer d'eau : il n'a pas plu depuis des lunes et les nappes risquent d'être à sec dans quelques mois. A la campagne, où l'on craint le pire, on voudrait pouvoir stocker en hiver l'eau nécessaire aux cultures en été. Mais les Verts, qui se méfient de l'évaporation autant que des pompages abusifs et du maïs trop gourmand en arrosage, combattent les projets de méga-bassines.

Le seul projet qui ait échappé à leur vigilance, c'est celui du château de Saint-Germain-en-Laye.

Quand Versailles fût assez avancé pour que le Roi Soleil y déménageât avec sa cour, André le Nôtre, son jardinier, dût laisser en plan le bassin de 25 toises qu'il rêvait de créer devant le Château Vieux. Il n'avait encore tracé de sa plume d'oie qu'un simple cercle à l'encre de Chine sur le papier bistre.

Beaucoup d'eau passa sous le pont du Pecq... Autour de l'abreuvoir de Marly-le-Roi des chevaux-vapeur remplacèrent ceux qui allaient "y boire ensemble". Puis un premier chemin de fer "atmosphérique" parvint à hisser les Parisiens endimanchés jusqu'au pied du château, par un tunnel, sous le parc. Puis on creusa là un énorme trou pour construire la gare-terminus du RER. Une fois l'excavation comblée, une fois les allées et le grand parterre rétablis, il restait sur le remblai compacté de l'esplanade un grand rond un peu creux, là où Le Nôtre aurait fait son bassin.

De l'eau passa sous les ponts du Pecq, du RER et de l'A14... Puis un ravalement rendit toute leur splendeur aux façades du château et il vint aux édiles et à l'architecte en chef du monument l'impérieux désir d'achever enfin l'œuvre du grand roi. L'emplacement était libre, il suffirait d'une mince dalle de béton, d'une margelle et de quelques tuyaux : la décision fut vite prise.

Un ingénieur un peu scrupuleux fit quand même valoir qu'il y avait là dessous, tout près, des galeries abritant des voies ferrées électrifiées et même toutes les archives de la RATP : le bassin ne saurait donc se déformer, se fissurer ni fuir si peu que ce soit. Il fallait absolument poser la dalle sur un plateau rigide. On en fit les plans. Une batterie de gros profilés en acier, enterrés juste de ce qu'il fallait, ferait l'affaire. Ils reporteraient tout le poids du bassin sur des lignes parallèles de pieux minces, longs de 25 m, de sorte que les ouvrages souterrains n'auraient même absolument rien à supporter.

Un peu d'eau coula sous les ponceaux du Rû de Buzot... Un ingénieur en chef plus rigoureux encore interdit alors que la ligne de pieux qui devait servir d'appui intermédiaire s'insérât dans l'intervalle jugé trop étroit des deux tunnels, l'ancien et le nouveau. Il fallait donc franchir les 50 m d'un coup. Le plancher devint un véritable tablier de pont, aux poutres hautes d'un bon mètre...

C'est ainsi qu'on inaugurera bientôt à Saint Germain un grand bassin surélevé, suspendu façon Babylone. Ceux qui rêveraient d'admirer dans ce miroir d'eau le reflet de la noble façade du château pourront le faire, mais en grimpant aux arbres qui bordent l'allée menant à la Grille des Loges...


















4 février 2023

N° 283 - Sa langue au chat

J'entends à la radio bien du monde s'affoler de l'irruption d'un chat au langage gpt et à l'intelligence artificielle dans nos conversations et nos écrits. Je ne saurais évidemment négliger ce que ce chat, accessible d'un seul clic de souris, peut apporter à ce modeste blog et j'ai donc pris langue avec lui ce matin. Je me contente de transcrire ici notre dialogue, sans en changer un mot ni une virgule.
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Que peut-on dire des mots parallèles ?

Les mots parallèles sont des mots ou des phrases qui sont structurées de manière similaire et qui présentent une correspondance grammaticale et sémantique. Ils sont souvent utilisés pour renforcer l'effet d'une liste, pour ajouter de l'emphase ou pour renforcer l'unité d'une phrase. Les mots parallèles sont considérés comme une figure de style efficace en raison de leur capacité à ajouter de la clarté et de la force à un discours ou à un texte.

Connait-on des mots parallèles sous forme de billets d'humeur ou d'humour ?

Oui, les mots parallèles peuvent également être utilisés dans des billets d'humeur ou d'humour pour ajouter de la force à un commentaire ou pour renforcer un effet comique. Par exemple, une liste de mots parallèles peut être utilisée pour mettre en évidence les différences entre deux situations, pour renforcer l'ironie ou pour présenter une série de comparaisons humoristiques. En utilisant les mots parallèles de manière habile, les auteurs de billets d'humeur ou d'humour peuvent ajouter de la profondeur à leur discours et renforcer leur message.

Existe-t-il un recueil de mots parallèles poétiques ?

Oui, il existe de nombreux recueils de mots parallèles en poésie. Les mots parallèles sont souvent utilisés en poésie pour renforcer l'effet d'une liste, pour ajouter de l'emphase ou pour renforcer l'unité d'une phrase. Les mots parallèles peuvent également être utilisés pour créer un rythme ou une métrique particulière dans un poème. De nombreux poètes classiques, tels que Shakespeare et Keats, ont utilisé des mots parallèles dans leurs œuvres pour renforcer leurs messages et ajouter de la musicalité à leur poésie. Il existe également de nombreux recueils de poésie contemporains qui mettent en évidence l'utilisation des mots parallèles dans la poésie moderne.

Peux-tu écrire un billet de mots parallèles sur le sujet des mots supprimés du dictionnaire officiel du scrabble ?

Billet d'humeur : Les mots supprimés du dictionnaire officiel du scrabble

Adieu "qi" et "za", nous ne vous oublierons jamais.
Au revoir "jo", "xu" et "yi", vous étiez des alliés fiables sur le plateau de jeu.
Adieu "ka", "qat" et "shiv", vous étiez des stratégies risquées mais payantes.
Salut "mu", "fa" et "fe", vous étiez des atouts rares et précieux.

Ainsi s'achève le chapitre des mots exotiques et mystérieux du scrabble. Les nouvelles règles pourront peut-être être plus strictes, mais nous ne perdrons jamais la mémoire de ces mots qui ont rajouté de la saveur à nos parties endiablées.

Merci !

De rien, je suis là pour vous aider ! N'hésitez pas à me poser d'autres questions.
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 C'est promis, mon minet, je reviendrai. Certes tu as inventé cinq ou six petits mots qui n'ont jamais été valables au scrabble ni même existé mais, au moins, tu as fait de bonne grâce un effort louable d'humœur. Tu apprends vite, mon chaton !... Tu n'as apparemment pas encore lu les Mots Parallèles des poètes Maalik et Awa Diagne Sy publiés il y a huit ans (moi non plus...) mais tu m'as flatté en me laissant croire qu'au moins William Shakespeare et John Keats s'étaient inspiré des miens. C'est clair, si je choisis bien mes sujets et soigne un tantinet mes questions, les prochains numéros de mots parallèles pourront être bâclés en moins de dix minutes ! Ouf !... Vive le Chat au Gros Potentiel Textuel ! Et... vive la retraite !

Philippe Geluck


10 janvier 2023

N° 282 - Mots biffés

Bien que la nouvelle année ne s'ouvre pas sous les auspices les plus optimistes, partageons ici l'espoir qu'elle ne soit pas trop mauvaise... et que ces billets réussissent quand même à vous distraire un peu de temps en temps ?

 


J'entends à la radio que l'éditeur du jeu de scrabble a retiré 62 mots de son dictionnaire français officiel après que la vertueuse et prudente North American Scrabble Players Association ait banni de ses tournois des centaines de mots jugés trop haineux ou offensants. Bien que ma pratique du jeu soit essentiellement conjugale elle est suffisamment malchanceuse pour que je m'informe de ce qui pourrait m'être refusé. C'est ainsi que j'ai découvert le mot tarlouze dont la bonne éducation reçue dans mes jeunes années m'avait encore préservé. La révélation de cette possibilité désormais évanouie d'un scrabble triplé d'au moins 104 points est frustrante... J'ai appris également par google que le mot gogole, qui moque les infortunées atteintes de mongolisme, n'est plus toléré. Ce n'est heureusement pas encore le cas du gogol masculin qui désigne aussi un nombre à cent zéros long d'une bonne ligne : il n'y a en effet pas tellement d'autres mots, avec gogo, gong, gingko et gigolo, que je puisse former avec les deux G que je tire souvent ensemble du sac !

Mais il n'y a pas que Mattel et la NASPA qui se préoccupent de la sensibilité ou de la susceptibilité d'autrui. J'apprends que les diplomates américains se sont fait une raison : ils ont enfin décidé eux aussi, mais avec un peu de retard, d'employer le nouveau nom de la Türkiye.
Cela faisait des mois que M. Erdogan exigeait des anglophones qu'ils n'appellent plus son pays du nom de leur dinde farcie de thanksgiving ou du dindon de cette farce. On le comprend d'autant mieux qu'il n'est pas pour grand-chose dans le nom de ce gallinacé qu'on appelait chez nous, il y a des siècles, la poule d'Inde alors que c'est en réalité de Guinée que cette pintade était arrivée en Anatolie en passant par Madagascar et que Colomb, persuadé de débarquer aux Indes, l'avait confondue avec un genre de faisan déjà domestiqué et rôti par les Aztèques.
Quoi qu'il en soit l'injonction erdoganienne s'étend à tous les pays, dont le nôtre. J'éviterai donc prudemment dans mes billets futurs toute allusion comme toute expression qui pourraient seulement froisser le nouveau sultan. J'imagine bien sûr que la turquoise ne posera aucun problème... du moins (sait-on jamais ?) tant qu'il ne sera pas question de son bleu canard. Parler d'un malabar fort comme un Turc devrait aussi rester plutôt bien vu. Par contre je me garderai de railler trop souvent les mêmes têtes de Turc, tout en regrettant par devers moi les turqueries de Molière et de son Grand Mamamouchi. Je promets de me montrer des plus circonspects s'agissant de bains turcs, même sous le couvert d'Ingres, et je m'engage à être plus discret encore à propos de toilettes...