25 juin 2020

N° 242 - Déconfi...serie


J'ai entendu à la radio que la police de Bayonne est allée distribuer des bonbons aux enfants qui reprenaient l'école, sans doute pour "recréer du lien" et "restaurer l'image" ? Un de ces écoliers gâtés a bien voulu me raconter ça avant de partir en vacances1. Il a même eu le bon goût de me le chanter sur l'air d'une vieille chanson égrillarde : Chandernagor, de Guy Béart2 (un ancien, déjà disparu, de mon école à moi)...

(En deux versions, sans le son ou avec  : https://youtu.be/PFZSGStsfDU).


Ils avaient, ils avaient
Des Carambars gros modèle
Ils avaient, ils avaient
Des Carambars à poignée
Pour nous seuls, pour nous seuls
Ils balançaient à la ronde
Des tapées de pralines
Des volées de Carambars
Pas question
Dans ces conditions
Qu'on se débine ou qu'on se débande...

Ils lançaient, ils lançaient
Des Marshmallows élastiques
Ils lançaient, ils lançaient
Des Marshmallows ronds et noirs
Et nous seuls, et nous seuls
En avions plein les mirettes
Plein les yeux, plein la vue
De ces super Marshmallows
Pas question
Dans ces conditions
Qu'on se débine ou qu'on se débande...

Ils lâchaient, ils lâchaient
Des œufs Kinder à surprise
Ils lâchaient, ils lâchaient
Des œufs Kinder détonants
Et nous seuls, et nous seuls
Ne perdions rien de la grêle
De dragées, de valdas
Qui giclaient de ces Kinder
Pas question
Dans ces conditions
Qu'on se débine ou qu'on se débande...

Ils jetaient, ils jetaient
En l'air comme des chouquettes
Ils jetaient, ils jetaient
Des chouquettes à fumée
Et nous seuls, et nous seuls
Ca nous faisait rire aux larmes
D'inhaler, d'inhaler
Les bouffées de ces chouquettes
Pas question
Dans ces conditions
Qu'on se débine ou qu'on se débande...

Ils avaient, ils avaient
Le pot d'Haribos facile
Ils avaient, ils avaient
Le pot d'Haribos copieux
Seulement, seulement
Ce n'était pas ordinaire
Et ça nous est resté
Un moment sur l'estomac
Pas question
Dans ces conditions
Qu'avant longtemps on en redemande...




8 juin 2020

N° 241 - Derniers carats


Nous entendons à la radio l'indignation que soulève le crime de Minneapolis. La réflexion et les débats que cela entraîne ramènent décidément encore à cette chanson de Maxime Leforestier : "Est-ce que les gens naissent égaux en droit, à l'endroit où ils naissent ? Est-ce que les gens naissent pareils, ou pas ?" Pourtant son refrain - qui s'insurgeait déjà contre la brutalité - n'est pas facile à retenir : "Nom'inq wand'yes qwag iqwahasa (quand on a l'esprit violent, on l'a aussi confus)" !

C'est en langue zoulou, une raison de plus pour raconter dès maintenant la suite de ma journée à Oranjemund*. C'était il y a bien 40 ans mais j'en garde des souvenirs qui m'ont marqué. Dont un que je ne crois plus possible de voir aujourd'hui puisque bien des choses ont heureusement fini par changer dans cette partie du monde.
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Nous quittons l'aérodrome et nous dirigeons vers la ville : en fait c'est, au milieu du désert et de nulle part, un lotissement de grandes maisons basses et semblables, couleur ciment, entourées de larges pelouses arrosées en permanence, où vivent les cadres de la mine de diamant et leurs familles. Nous sommes partis tôt de Cape Town aussi nous allons d'abord déjeuner, au mess destiné aux visiteurs. Je ne m'attendais pas, dans ce désert, à ces tables rondes couvertes de longues nappes blanches et d'argenterie... Nous sommes servis par un maître d'hôtel stylé dont la carrure et la dignité m'intimident. On me dit qu'il est probablement de l'ethnie Ovambo. Je n'ai pas oublié ce mot, ni mon impression de voir sur son visage, tellement noir, des reflets bleu marine...

Nous gagnons l'entrée de la concession. C'est plus sérieux qu'un poste frontière. Le territoire de la compagnie s'étend sur des centaines de kilomètres le long de la côte sauvage et sur quelques dizaines en largeur. Il est fermé par un véritable rideau de fer : hautes clôtures barbelées, chemin de ronde ratissé... On laisse la voiture à l'extérieur : on en prendra une autre de l'autre côté (à peu près rien de ce qui entre dans la mine ne peut en sortir). Les autorisations d'accès et les cartes d'identité sont minutieusement contrôlées. Mais ce sera plus strict encore au retour : on passe à tour de rôle devant une longue glace sans tain d'où l'on se sait observé au risque d'être fouillé. Je devrai, le soir, tel un voleur pris la main dans le sac, vider la poche de sable que j'imaginais naïvement pouvoir emporter pour le faire analyser...

Nous roulons maintenant sur la piste. Il n'y a rien, à perte de vue, que du sable et du caillou. On voit des traces de travaux, de terre déplacée, étalée ou mise en terrils. L'océan n'est pas loin, le vent est fort, l'air est salé, chargé d'embruns. Un vrai no man's land... Nous parvenons au bord d'un gigantesque cratère. Plantées dans les gradins étroits de ses parois, des centaines de tubes verticaux pompent l'eau pour tenir au sec l'immense fond de la fouille, vingt mètres au dessous du niveau de l'océan, dont on voit les lames déferler. Là, une énorme excavatrice, véritable usine sur chenilles, tend au bout d'un long bras de charpente métallique une roue dont les godets creusent la terre qu'elle déverse dans un défilé de dumpers géants.

C'est à quelques kilomètres de là que sera construit le mur le plus haut que nous ayons encore jamais conçu, aussi haut qu'un immeuble de 15 étages. Les dumpers graviront une rampe jusqu'à son sommet, d'où ils benneront, dans une cascade de trémies, de cribles, de bandes transporteuses et de centrifugeuses, 40 tonnes de déblai d'un coup... dont ne seront extraits que quelques carats de pierre précieuse.

En chemin vers ce site nous traversons d'autres zones de terrassement, où sont à l'œuvre des flottilles de scrapers, bulldozers et pelleteuses. Nous nous arrêtons pour voir un secteur où le sable a déjà été déblayé, sur des mètres d'épaisseur, jusqu'au roc qu'il recouvrait. Il ressemble aux rochers où l'on cherche des étrilles, chez nous, à marée basse. Il n'y manque que l'humidité des algues. La pierre est nette et propre. On y travaille un peu plus loin. Des cordes divisent le terrain en bandes. Dans chacune un homme penché vers le sol, ou agenouillé, brosse soigneusement le rocher avec une balayette. Les balayeurs Ovambos progressent lentement, de front, sous la surveillance de gardes-chiourme. 
Ils traquent les derniers diamants qui pourraient encore rester aux creux de la pierre. A la fin de la journée ils se hisseront dans la benne d'un camion rouillé qui les larguera près de la baraque où ils logent, à l'intérieur même de l'enceinte de la mine, en plein désert, dans cet environnement invivable. Comme on ne saurait les soumettre tous les soirs à une fouille complète et soupçonneuse, ils n'auront de permission de sortie que dans quelques semaines, ou quelques mois...

Voilà le souvenir tenace, ineffaçable, qui ne devrait plus être d'actualité**. Je l'ai déjà souvent raconté, comme par besoin de m'en soulager. Derrière tout diamant, qu'il soit sur un diadème, une Rolex, une broche ou une simple bague de fiançailles, je revois toujours le désert interdit d'Oranjemund, la démesure des machines et des engins et, surtout, les fiers Ovambos... à balayette.

"Est-ce que les gens naissent pareils, ou pas ?"



* Voir le n°240, "Micros-mégas".
** C'était du temps de l'apartheid. L'exploitation de la mine était alors concédée au groupe sud-africain Anglo American-De Beers, qui la partage maintenant avec le gouvernement Namibien. Les gisements côtiers seront bientôt taris et on a commencé à extraire les diamants des fonds marins, à partir de navires-usines.