22 mars 2014

N° 119 - Ni vu ni connu


J'entends à la radio… Je l'écoute à l'aube, sous la couette. J'écouette France Inter, en dormant en pointillés. La Charline du cinq-à-sept se mêle à la revue de presse de 8h30 et Bernard Guetta finit les phrases de Thomas Legrand... Pourtant j'entends, j'entends qu'on nous écoute. Au commissariat, les bretelles du planton doivent relier son oreillette à mon portable. Au Fort George G. Meade, Maryland, USA, un guy de la NSA ne perd rien de mes bavardages. Et le tableau de bord de mon blog repère des lecteurs-espions jusqu'en Russie et en Australie*.

On m'écoute, on m'épie, on me scanne. Les caisses du Miniprix enregistrent mes emplettes et les analysent, jour après jour. Le GPS me piste, il sait où j'erre, devant quel linéaire, près de quelle gondole. Un SMS m'alerte sur la promo du jour : sous mes yeux, trois camemberts faits à cœur pour le prix d'un. Mais j'ai une taupe dans la place, un employé au merchandising. Il m'avait prévenu et déjà mis trois lots de côté. Pour sa peine on ira boire ensemble un panaché Monaco. 

De toute façon j'ai maintenant un autre portable, rien que pour les courses, pour déjouer la traque. Justement, j'ai besoin d'un avis : "Allo Bismarck ? C'est Kossuth." Des pseudos, bien sûr. "Je prends un cookie ?"  C'est un code, entre elle et moi, pour coquelet rôti. (Penser à supprimer quand même le cookie cookie du navigateur. Et à enfiler mes gants pour payer en liquide, sans laisser d'empreintes sur les billets).


Je croise Madame G., une voisine, qui fait ses commissions elle aussi. Enfin, son robot. Un petit caddie autonome, bas sur roues, avec une tablette verticale de 12" à hauteur de poitrine. Sur l'écran, de l'index, elle me fait signe d'approcher, depuis son salon. Mrd…, elle m'a reconnu. Ma perruque afro et mon maquillage bantou n'ont pas dû tromper non plus les caméras. Au bureau du magasin mon profil-client est surement déjà traité par les ordinateurs. Les étiquettes électroniques on dû valser sur mon passage. Madame G. pose l'index sur ses lèvres. "Chut, pas de bonjour, pas de nom ! Vous pourriez m'attraper un pack de six Pernod-Ricard, là haut?" Je le mets dans son panier. Elle se floute et s'éloigne à petite vitesse. C'est un vieux modèle, sans bras télescopique.


En fait, aujourd'hui, elle fait les courses pour les Buisson, comme je les fais pour le père Lecomte. Un truc pour embrouiller grave les métadonnées. Tiens, je vais même lui prendre du rouge à lèvres et du mascara. Ca va faire du boulot à ces bavards du bureau !




* Hi, Malcolm !

12 mars 2014

N° 118 - Pas piqué des hannetons…


J'entends à la radio qu'on peut capter l'énergie des insectes. Je ne te parle pas de les griller à la poêle et de les bouffer, comme les Chinois, je te parle de récupérer toute l'énergie qu'ils gaspillent à tort et à travers.

Prends les bousiers. Tu en alignes une vingtaine, le cul en l'air, les pattes arrière sur une brochette de billes, un poil au-dessus du sol : tu as de quoi faire tourner une dynamo. Maintenant, gamberge un peu : tu empiles des milliers de plateaux de centaines de rangées de billes à bousier, tu as une centrale bousilectrique.
Pense aux fourmis. Il y en a tellement qu'elles pèsent plus lourd que nous. On pourrait s'en mettre chacun, on va dire, cinquante kilos de côté et les faire turbiner dans sa cave. Si tu vas au Palais de la Découverte, à l'exposition, tu vas voir des fourmilières en plexiglas, reliées par des autoroutes à fourmis. Ca couvre tout un hall, c'est plus animé qu'un réseau de trains miniatures. Tu peux faire la même chose chez toi, ou au sous-sol de ton immeuble. Et là, écoute-moi : tu gagnes de la place en remplaçant les routes par des tapis de course, comme dans ta salle de sport ; puis tu relies tous les rouleaux à un alternateur. Eh bien, tu peux fermer la chaufferie !

Bon, ça, ce sont des idées à moi, tu en fais ce que tu veux… Il y a des chercheurs qui pensent à autre chose. Ils s'intéressent au bruit des insectes et aux vibrations qu'ils produisent en volant. Avec des micros et des capteurs de pression ils veulent transformer les bourdonnements, les grésillements, les battements d'ailes ou d'élytres en courant électrique. Tu te rends compte ? Tu colles une boite à grillons sur ton téléphone portable, tu n'as plus besoin de chargeur… Tu poses deux ou trois récepteurs dans un olivier, les cigales alimentent ton lecteur de DVD. L'effet papillon, ce n'est plus de déclencher une tornade au Texas, c'est de faire marcher ton aspirateur !

Je te jure, c'est sérieux* : des essais vont bientôt commencer dans le Midi. Dans la campagne, en bordure des champs, près des ruches, en lisière de forêt, au bord des mares, partout, on va planter des rangées de fleurs artificielles, toutes équipées de micros et de capteurs miniatures. Alors, si quelqu'un a peur d'être enregistré par un Buisson, il vaut mieux qu'il reste chez lui…