17 avril 2017

N° 182 - Le Chemin des Dames

       

La périodicité de mes chroniques est, vous le savez, assez aléatoire... Celle-ci suit vraiment de très près la précédente mais cette fois ce n’est pas du tout un billet d’humour, ni tout à fait d’humeur : plutôt d’inquiétude. Et s’il y a une raison de partager cette inquiétude vous comprendrez pourquoi c’est maintenant, pourquoi c’est cette semaine. J’ai pensé un moment n’adresser cela qu’aux plus jeunes de mes “abonnés” mais, après tout, pourquoi ne pas confier à tous ce que j’ai sur le cœur ?


J'entends à la radio des échos du centenaire du Chemin des Dames. Nous sommes passés par là il y a une dizaine d'années. Une réunion de famille nous avait menés à Valenciennes pour un weekend. C'était en octobre, l'automne était ensoleillé, l'idée nous est venue de descendre vers le sud sans nous presser, en multipliant les étapes dans des régions et des villes que nous connaissions mal. Ainsi nous avons musardé par Laon, Epernay, Tonnerre, Chalon-sur-Saône, la Bresse, avant de rendre visite à nos amis du Beaujolais, dans leur village aux belles pierres dorées. Puis nous avons continué par Le Puy-en-Velay, la Lozère, Mende, suivi un bout du chemin de Stevenson, fait halte à Uzès, Avignon, avant de nous poser chez nos amis d'Aix-en-Provence et flâner avec eux sous les platanes. Dix jours de balade paisible, du nord au sud, sans cesser de nous dire que nous habitons un bien beau pays...

C'est au début de ce périple, entre Laon et Reims, que j'ai eu envie de faire un détour par le Chemin des Dames. Nous avons donc fait halte un soir à Craonne, dans une chambre d'hôte sans charme. Le lendemain matin nous avons gagné les collines et laissé la voiture dans une clairière silencieuse. Puis nous avons suivi au hasard quelques chemins sous les arbres, entre les bosses herbues et les creux des anciens cratères, avec ici ou là de rares bouts de mur, sans presque rien dire. Dans un tel lieu, c'est instinctif : si agréable que soit l'ondulation des collines, si plaisante que soit la forêt, on n'ose pas élever la voix.

Ce besoin d'aller là, d'y marcher, de regarder, en pensant "c'était là", peut paraitre incompréhensible. Certes, je suis né avant guerre, mais avant la deuxième, pas la première, pas la "grande"... Mais je gardais à l'esprit, depuis plus de cinquante ans, un souvenir vif et perturbant et comme un besoin de comprendre. Cela date des premières années du lycée, qu'on appelle maintenant le collège. J'étais sans doute en 4eme et Michel en 5eme. C'était probablement un dimanche et nous déjeunions tous les six et nos parents chez notre grand-père et nos tantes, sur les hauteurs de Rouen. Mon grand-père, qui avait fait 14-18 bien sûr et eu la chance d'en revenir, mais qui n'en parlait guère, portait une superbe moustache en guidon. Il pratiquait, sans en abuser, un humour un peu caustique et vache qui faisait nos délices quand nous n'en étions pas la cible. A un moment du repas il a demandé comment ça marchait au lycée et mon frère, qui faisait allemand première langue, a été tout heureux, tout fier de lui dire qu'il avait déjà un correspondant. Je me souviens encore de m'être senti comme pétrifié, gelé sur place, en voyant mon grand-père pâlir, se crisper, contenir avec peine une espèce de rage froide et lui lancer : "Eh bien, quand tu lui écriras, dis-lui de saluer de ma part son grand-père : j'ai dû le rencontrer au chemin des dames" ! Là, ce n'était pas pour rire... Je ne devais pas bien savoir à l'époque, ou pas du tout, ce que c'était que ce chemin des dames. Mais il n'y avait aucun doute : mon grand-père en avait un très, très mauvais souvenir et cela avait à voir avec ces "boches" qu'il ne portait pas dans son cœur et contre lesquels il avait fallu "remettre ça" vingt ans après.

Voilà, c'était il y a peut-être soixante six ans. Depuis nous avons enfin fait la paix avec les boches, et les autres. Ensemble nous avons entrepris de faire l'Europe et depuis plus de soixante six ans nous n'avons pas "remis ça".
Depuis, on n'imagine pas revoir chez nous, ni dans ce bien beau pays ni chez nos voisins, des centaines de milliers de jeunes gens massacrés, jeunes, tout jeunes, en quelques semaines, comme au Chemin des Dames, dans une bataille pour rien. Pour rien, sauf nous convaincre de faire la paix, de faire l'Europe.
Aussi, quand j'entends des candidats à l'élection présidentielle clamer qu'il faut sortir de cette Europe, sans attendre, ou, tout au plus, après avoir bâclé un vague plan A ou B, je frémis. L'Europe n'est pas parfaite, loin de là. Rien n'est parfait... Mais ce qu'on attend d'eux ce sont des idées, de l'imagination, du travail, pour améliorer encore et encore les choses ! Pas de la paresse, pas de la facilité, pas la lâcheté de jeter le bébé avec l'eau du bain et la baignoire au lieu d'en prendre soin, de l'élever, patiemment, courageusement. 
Alors je vais voter, bien sûr, mais pas pour ceux-là !








Mon grand-père c'est celui qui, en bas, à demi assis, parait le plus petit. En 17 il avait 30 ans et était père de deux très jeunes garçons. Mes quatre tantes, dont celle qui a retrouvé cette photo, n'étaient pas encore nées. Heureusement, lui, il est revenu. Ses copains, certainement pas tous...


14 avril 2017

N° 181 - Six à sept




C'est un événement dont la radio ne dit rien. Mais elle a tellement à faire ces temps-ci... Tant de sondages à commenter, qui seront périmés demain... Tant de candidats à faire défiler, afin que chacun expose candidement ce qu'il fera une fois président.
Candidat, du latin candida : blanche. Blanche comme la toge qu'on portait à Rome (où l'on avait des principes) pour postuler à une dignité ou une fonction publique1. Vêtu, comme Booz des siècles plus tôt2, "de probité candide et de lin blanc". Booz qu'Hugo décrivait "à la justice enclin", allant "pur, loin des sentiers obliques". Booz, "généreux quoiqu'il fût économe" et dont la nature "n'était point avare, ni haineuse". Ah, Booz président ! Booz président !

Toujours pas un mot à la radio... Pourtant, j'ai entendu un quadragénaire ambitieux railler l'un de ses concurrents, au prétexte qu'il siégeait déjà au Sénat alors qu'il usait, lui, ses fonds de culotte aux bancs du collège3. Il a raison bien sûr : place aux jeunes ! L'âge compte, évidemment... Encore que cela se discute : "Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand". Certes, la valeur n'attend pas toujours le nombre des années. D'ailleurs un allié (plutôt taquin ?) du même prétendant vient de lui rappeler qu'à son âge il y avait beau temps que Bonaparte était empereur et Alexandre maitre du monde4.

Vous l'avez compris, c'est le souci de l'âge qui me turlupine aujourd'hui. J'essaie de me rassurer, toujours avec Hugo : "Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens / Mais dans l'œil du vieillard on voit de la lumière". Tu parles... Mon œil !

Ce que je tergiverse à vous dire (et que la radio ignore, évidemment) c'est que mon petit frère, le dernier-né des six frères et sœur, est aujourd'hui lui aussi septuagénaire.
C'est lui qui vous contemple du haut de la pyramide, sur la photo5Nous l'appelons toujours Mino, tant parce qu'il est le benjamin, le minot, que pour abréger son prénom. Il était encore au collège que j'étais déjà ingénieur6! Chaque fois qu'il change de décennie, alerte : j'en fais autant l'an suivant....
A propos, j'aimerais bien qu'on fête cela tous ensemble, le moment venu. Et je compte d'ores et déjà sur lui pour divertir l'assistance grâce aux talents d'illusionniste, aux tours de passe-passe et aux dons d'imitateur7 qu'il exerce en virtuose... depuis le temps du collège.
N'imaginez là aucun double sens : Mino ne fait pas de politique. On peut quand même parler d'autre chose que de la campagne, non ?



1 Sans se faire offrir pour cela un habit neuf : en passant simplement à la craie sa toge de tous les jours. Ils sont fous ces Romains...
2 Pour cette citation et les suivantes, voir "Booz endormi", La légende des siècles, Victor Hugo.
3 Macron, à l'adresse de Mélenchon.               4 Bayrou, à l'adresse de Macron.
5 Moi, l'ainé, je suis le costaud coiffé en brosse en bas à gauche.
6 N'exagérons rien : tout juste diplômé...
7 Je vous ai déjà parlé de mon cadet, médecin et verbicruciste. Je fais aujourd'hui de la pub au petit dernier, photographe et magicien : voir http://www.mariage.com/prestataire-mariage/listing/onim-magie-de-table.