17 avril 2023

N° 286 - Modes de chez nous


"J'entends à la radio" ne conviendra pas cette fois comme entrée en matière. Honnêtement, s'agissant d'une nouvelle un peu défraichie, je devrais plutôt écrire : "J'ai entendu". Ou même, ayant l'ombre d'un doute sur sa véracité et ne sachant trop quand je l'ai reçue : "J'avais entendu". Si du moins cette inflexion peut excuser une mémoire qui tend à flancher ou une petite propension à faire du moindre souvenir une fable ? 

Mais c'est peut-être à tort que j'attribue une nuance d'à-peu-près, une suspicion de sujet à caution à ce temps composé du mode indicatif qu'est le plus-que-parfait. Plus que parfait... La perfection, dit-on, n'est pas de ce monde, exception faite, semble-t-il, du monde de la conjugaison. Le plus-que-parfait n'ajoute pourtant qu'un tout petit degré à l'imparfait. Pourquoi d'ailleurs le parfait n'aurait-il pas sa place dans le mode indicatif, entre l'imparfait modeste et ce plus-que-parfait prétentieux ? Finalement mon propos ne serait pas moins pertinent si j'évoquais ce qui me vint à l'esprit après que "j'eus entendu à la radio", quitte à passer carrément au passé antérieur. Autrement dit au passé d'avant, au passé du passé. A une époque où je n'avais peut-être même pas la radio. Mais je regretterais ce faisant la petite touche d'incertitude que je souhaitais insinuer en sous-entendu.

Peut-être aurait-il mieux valu que j'abandonnasse l'indicatif trop péremptoire pour explorer les ressources du conditionnel, plus nuancé. En écrivant par exemple, au passé simple : "J'aurais entendu à la radio, si j'en avais eu une". Ou en optant pour le conditionnel-temps et son parfum de retour du futur dans le passé, un rien science-fiction, qui pourrait faire l'affaire : "Je n'imaginais pas que j'entendrais à la radio". Encore que l'incertitude porte là plutôt sur le temps que sur le fond. Tout compte fait c'est peut-être avec le mode subjonctif que je parviendrais le mieux à concéder un doute, une hypothèse, une réserve. En ayant toutefois encore à choisir entre le passé : "Admettons que j'aie entendu à la radio" ; ou l'imparfait : "Si le hasard avait permis que j'entendisse" ; ou, une fois de plus, l'incontournable plus-que-parfait : "Eussé-je été plus attentif, j'eusse entendu à la radio". Dilemme...

Une chose est certaine : il n'y a rien à espérer du mode impératif. Curieux d'ailleurs qu'on ne puisse se l'appliquer à soi-même qu'en dédoublant sa personnalité : "entends la radio" ; ou en la faisant se fondre dans un groupe : "entendons la radio". Ce mode au ton si pressant, si contraignant, si impérieux... Celui de Don Diègue ordonnant au Cid : "Va, cours, vole et nous venge !"
Je vous prie de m'excuser un instant : mon correcteur intelligent d'orthographe artificielle exige que j'écrive : "nous vengeons". 
C'est réglé. Mais je ne sais plus de quoi je voulais vous parler en commençant...