(Je ne pouvais enregistrer ce bulletin hier, vous comprendrez pourquoi).
J'entends à la radio qu'aujourd'hui, 25
mars, c'est la journée mondiale de la procrastination(1). Ca, ça manquait,
c'est évident, c'était même tout à fait indispensable... Il y a enfin sur notre
planète un jour où rien, absolument rien, n'est urgent, nulle part ; un jour où tout,
rigoureusement tout, peut attendre. Je me vois donc moralement obligé de remettre
à plus tard tout ce que j'étais peut-être censé faire aujourd'hui. A commencer
par régler nos pendules sur l'heure d'été, qu'elles soient sur piles ou sur secteur(2)
: ce serait complètement stupide de me lever une heure plus tôt pour ne rien
faire de la journée !
Rien ne presse...
Peut-être vais-je,
mais tout au plus, prendre mon temps pour vérifier, tranquillement, d'où sort
ce verbe étrange et à peu près imprononçable : procrastiner. Mais, surtout, sans
me précipiter sur google, sans me ruer sur le wiktionnaire. Pour une fois je vais m'accorder
le loisir savoureux de feuilleter lentement, soigneusement, les pages jaunies de
mon gros Lexis Larousse, édition 1975. Voyons... proclitique, procombant, proconvertine
(je laisse glisser mon doigt le long de la colonne...) procordés, voilà :
procrastination. Le mot vient du latin crastinus. C'est une occasion rare et rêvée
de descendre de l'étagère où il se parchemine, avec tous les égards qui lui
sont dus, ce bon vieux Gaffiot de 1954. J'y suis, page 439, entre crasso et
crebresco : crastĭnō, adv. (crastinus),
demain, puis crastĭnum, i, n. (crastinus),
le lendemain.
Le lendemain... voilà un autre mot fort intéressant. Comme notre
langue est riche ! Nous aussi nous disposons d'un adverbe, demain, et d'un nom,
lendemain. D'après mon Lexis, que je suis retourné consulter, il y a quelque sept
siècles on disait l'endemain. Puis l'habitude s'est prise d'y ajouter un
deuxième article. C'était pourtant clair et bien suffisant : l'endemain. L'endemain
de fête, l'endemain qui chante... Tiens, puisque je n'ai rien d'autre à faire, je
vais essayer de reconstituer, de mémoire, la pochade provençale où Fernand
Sardou, le père, confessait jadis ses penchants paresseux : "Aujourd'hui
peut-être, ou alors demain"... Fernand Sardou, troubadour procrastinateur !
Mais... crastinus, voilà une
piste onosmatique et anthroponymique, voire généalogique, que je n'avais pas encore
pensé à explorer ! Un de mes lointains aïeux était peut-être un flemmard, un
glandeur de première qui n'en foutait pas une rame et que tout son village surnommait
"ce crastin". Après tout, puisqu'on baragouinait encore un peu le
bas latin à l'époque, il n'est même pas exclu que je descende d'un roi
fainéant. Je vais entreprendre des recherches dès demain.
(2) Voir n° 199 : "Minute, papillon
!" A propos, cette journée internationale m'a fait remettre aux calendes,
grecques ou latines, un autre projet : celui de marquer d'une pierre blanche le
n° 200 de "Mots parallèles" !