26 mars 2018

N° 200 - Carpe diem...


(Je ne pouvais enregistrer ce bulletin hier, vous comprendrez pourquoi).


J'entends à la radio qu'aujourd'hui, 25 mars, c'est la journée mondiale de la procrastination(1). Ca, ça manquait, c'est évident, c'était même tout à fait indispensable... Il y a enfin sur notre planète un jour où rien, absolument rien, n'est urgent, nulle part ; un jour où tout, rigoureusement tout, peut attendre. Je me vois donc moralement obligé de remettre à plus tard tout ce que j'étais peut-être censé faire aujourd'hui. A commencer par régler nos pendules sur l'heure d'été, qu'elles soient sur piles ou sur secteur(2) : ce serait complètement stupide de me lever une heure plus tôt pour ne rien faire de la journée !

Rien ne presse... 

Peut-être vais-je, mais tout au plus, prendre mon temps pour vérifier, tranquillement, d'où sort ce verbe étrange et à peu près imprononçable : procrastiner. Mais, surtout, sans me précipiter sur google, sans me ruer sur le wiktionnaire. Pour une fois je vais m'accorder le loisir savoureux de feuilleter lentement, soigneusement, les pages jaunies de mon gros Lexis Larousse, édition 1975. Voyons... proclitique, procombant, proconvertine (je laisse glisser mon doigt le long de la colonne...) procordés, voilà : procrastination. Le mot vient du latin crastinus. C'est une occasion rare et rêvée de descendre de l'étagère où il se parchemine, avec tous les égards qui lui sont dus, ce bon vieux Gaffiot de 1954. J'y suis, page 439, entre crasso et crebresco : crastĭnō, adv. (crastinus), demain, puis crastĭnum, i, n. (crastinus), le lendemain. 
Le lendemain... voilà un autre mot fort intéressant. Comme notre langue est riche ! Nous aussi nous disposons d'un adverbe, demain, et d'un nom, lendemain. D'après mon Lexis, que je suis retourné consulter, il y a quelque sept siècles on disait l'endemain. Puis l'habitude s'est prise d'y ajouter un deuxième article. C'était pourtant clair et bien suffisant : l'endemain. L'endemain de fête, l'endemain qui chante... Tiens, puisque je n'ai rien d'autre à faire, je vais essayer de reconstituer, de mémoire, la pochade provençale où Fernand Sardou, le père, confessait jadis ses penchants paresseux : "Aujourd'hui peut-être, ou alors demain"... Fernand Sardou, troubadour procrastinateur !

Mais... crastinus, voilà une piste onosmatique et anthroponymique, voire généalogique, que je n'avais pas encore pensé à explorer ! Un de mes lointains aïeux était peut-être un flemmard, un glandeur de première qui n'en foutait pas une rame et que tout son village surnommait "ce crastin". Après tout, puisqu'on baragouinait encore un peu le bas latin à l'époque, il n'est même pas exclu que je descende d'un roi fainéant. Je vais entreprendre des recherches dès demain.



(2) Voir n° 199 : "Minute, papillon !" A propos, cette journée internationale m'a fait remettre aux calendes, grecques ou latines, un autre projet : celui de marquer d'une pierre blanche le n° 200 de "Mots parallèles" !






10 mars 2018

N° 199 - Minute, papillon !



J'entends à la radio que les Kosovars mettraient ma pendule de cuisine en retard ? Pas la grande horloge à pile et à aiguilles, celle-là n'est jamais à l'heure, mais le petit cadran du micro-ondes. Ne comprenant pas bien ce que le Kosovo vient faire là dedans, je suis allé au bar-tabac, dans l'idée d'acheter un magazine scientifique. Là je suis tombé sur Léon, vous savez l'instit retraité1. Il était justement en train de discuter de ça au comptoir avec Marcel, le pochard qui avait interpelé le Président2.
Marcel, voyons, ça n'est pas si compliqué ! La pendule de votre four avance d'une seconde chaque fois qu'elle a compté 50 inversions du sens du courant. 50, c'est la fréquence normale du courant alternatif.
OK, Léon, OK... Mais le Kosovo ? C'est pas des fèque-niouzes, c'histoire de Kosovo ? Le cas s'est vu...
Pas du tout, Marcel ! Les Kosovars ne produisent pas autant de courant qu'ils devraient, alors tout le réseau peine et ça fait baisser la fréquence partout.
Eh, dites, Léon, l'élétrécité du Kosovo, c'que ça vaut, je l'ai lu, c'est pas 0.2% de toute l'Europe. Alors, le Kosovo, quoi, ça va !
Ne croyez pas ça, Marcel : il ne faut pas grand chose pour tout dérégler ! C'est l'effet papillon. Tout le monde vous le répète : la télé, la radio, les journaux, facebook, tout le monde3. A cause du Kosovo la fréquence est tombée à 49,996. Ca fait 8 pour 100 000 en moins !
8 pour 100 000 ? C'est tout ? Mais c'est peanuts ! Et on met ça sur l'dos des Kosovars ? Si c'est d'ça qu'on cause, au r'voir !
Marcel, on va faire le calcul tranquillement. Vous allez comprendre. Ecoutez-moi bien.... Un four sur la mauvaise fréquence perd une seconde quand un autre sur la bonne aurait compté 50 inversions de plus, donc au bout d'un temps T donné par l'équation (il griffonne au dos d'un sous-bock) T égale...
Hé, ho, Coco, ça va ! Y'a pas qu'au Kosovo qu'y a 10 000 minutes par semaine, à un poil près. Alors si vot' pendule ralentit de 8 pour 100 000 elle va retarder de 8 minutes dans dix semaines, c'est trop clair ! Mais siouplait, Léon, qu'est-ce qu'ils ont contre les Kosovars vos cossards de l'EDF ? Ils pourraient pas plutôt r'mettre un peu d'jus dans l'circuit avec tous leurs réacteurs atomiques, non ? Et les journalistes qui copient les uns sur les autres pour débiner le Kosovo ? Ils font écho, ces veaux, à des bla-bla ! Pourquoi ils nous disent : ceux qu'impacte le Kosovo, du coup c'est vous ! Hein ? Au lieu d'espliquer ?
Je ne sais pas, Marcel... Ils ont peut-être laissé tomber les maths et la physique dès le collège...
Bon, allez, à la vôtre, Léon. Ah, n'oubliez pas, de toute façon dans deux semaines faudra mettre la tocante de votre micro-onde à l'heure : on va r'passer à l'heure d'été.


1 Voir Mots // n° 129, "Ca marche !"
2 Voir n° 131, "Les guignolets de l'info"