10 janvier 2023

N° 282 - Mots biffés

Bien que la nouvelle année ne s'ouvre pas sous les auspices les plus optimistes, partageons ici l'espoir qu'elle ne soit pas trop mauvaise... et que ces billets réussissent quand même à vous distraire un peu de temps en temps ?

 


J'entends à la radio que l'éditeur du jeu de scrabble a retiré 62 mots de son dictionnaire français officiel après que la vertueuse et prudente North American Scrabble Players Association ait banni de ses tournois des centaines de mots jugés trop haineux ou offensants. Bien que ma pratique du jeu soit essentiellement conjugale elle est suffisamment malchanceuse pour que je m'informe de ce qui pourrait m'être refusé. C'est ainsi que j'ai découvert le mot tarlouze dont la bonne éducation reçue dans mes jeunes années m'avait encore préservé. La révélation de cette possibilité désormais évanouie d'un scrabble triplé d'au moins 104 points est frustrante... J'ai appris également par google que le mot gogole, qui moque les infortunées atteintes de mongolisme, n'est plus toléré. Ce n'est heureusement pas encore le cas du gogol masculin qui désigne aussi un nombre à cent zéros long d'une bonne ligne : il n'y a en effet pas tellement d'autres mots, avec gogo, gong, gingko et gigolo, que je puisse former avec les deux G que je tire souvent ensemble du sac !

Mais il n'y a pas que Mattel et la NASPA qui se préoccupent de la sensibilité ou de la susceptibilité d'autrui. J'apprends que les diplomates américains se sont fait une raison : ils ont enfin décidé eux aussi, mais avec un peu de retard, d'employer le nouveau nom de la Türkiye.
Cela faisait des mois que M. Erdogan exigeait des anglophones qu'ils n'appellent plus son pays du nom de leur dinde farcie de thanksgiving ou du dindon de cette farce. On le comprend d'autant mieux qu'il n'est pas pour grand-chose dans le nom de ce gallinacé qu'on appelait chez nous, il y a des siècles, la poule d'Inde alors que c'est en réalité de Guinée que cette pintade était arrivée en Anatolie en passant par Madagascar et que Colomb, persuadé de débarquer aux Indes, l'avait confondue avec un genre de faisan déjà domestiqué et rôti par les Aztèques.
Quoi qu'il en soit l'injonction erdoganienne s'étend à tous les pays, dont le nôtre. J'éviterai donc prudemment dans mes billets futurs toute allusion comme toute expression qui pourraient seulement froisser le nouveau sultan. J'imagine bien sûr que la turquoise ne posera aucun problème... du moins (sait-on jamais ?) tant qu'il ne sera pas question de son bleu canard. Parler d'un malabar fort comme un Turc devrait aussi rester plutôt bien vu. Par contre je me garderai de railler trop souvent les mêmes têtes de Turc, tout en regrettant par devers moi les turqueries de Molière et de son Grand Mamamouchi. Je promets de me montrer des plus circonspects s'agissant de bains turcs, même sous le couvert d'Ingres, et je m'engage à être plus discret encore à propos de toilettes...