29 octobre 2015

N° 153 - Menu menu


J'entends à la radio qu'il faut vraiment faire attention à ce que nous mettons dans nos assiettes. On nous alerte de toutes parts à l'approche des fêtes. Mais je veux rassurer nos amis. Marinette et Pamphile, Léonor et Désiré, soyez sans crainte : quand vous viendrez partager notre réveillon, vous ne courrez aucun danger. J'y veillerai personnellement.

Léonor, tu le sais, nous avons déjà banni le foie gras et les huitres, depuis que tu nous as convaincus qu'il est aussi inhumain d'avaler les fines de claire vivantes que de gaver les oies. C'est une cause entendue.

Toi, Pamphile, qui raffoles des plats du terroir, tu seras d'accord pour qu'on renonce aussi au cassoulet et à la choucroute. Tu sais maintenant que la saucisse, qu'elle soit de Toulouse, Montbéliard ou Strasbourg, nous expose au cancer, tout comme le lard, la couenne, le jarret, l'épaule et l'échine de porc. En fait, rien n'est bon dans le cochon. Tout est cancérigène. Enfin, cancérigène ou cancérogène. Si c'est ogène, ça favorise l'apparition du cancer ; si c'est igène, ça facilite son développement. Donc si tu manges ogène avant igène, tu es foutu. Mais si tu fais l'inverse, disons les saucisses après la viande, tu risques moins. En principe... Mais ce n'est pas tout à fait sûr, alors on fait une croix dessus. Déjà que ce n'est ni halal ni casher...

Désiré, tu vas nous dire : "Pas de souci, faites nous donc une petite fondue bourguignonne, ou un bon civet de biche". Mais, malheureux, à la fin 2015 tu auras sans doute déjà bouffé un demi-quintal de viande rouge. C'est moitié trop ! Retiens bien ça : une livre par semaine, maxi, sinon, un de ces jours, ton colon va te rappeler à l'ordre, recta !

Marinette a raison : on peut très bien se passer de bidoche et faire un excellent gueuleton de pâtes, de lentilles et de riz. J'essaierai de trouver un épicier qui vende ça en vrac, dans des grands sacs de jute*. Parce que dans des boites en carton recyclé, imbibé d'hydrocarbures et d'encres toxiques, on nous a prévenus, c'est mortel ! Bien sûr, il pourrait y avoir une deuxième enveloppe vierge, en sécurité, mais ça ferait deux fois plus d'emballages au tri sélectif et ainsi de suite... 
Par contre, sur un sac de jute, est-ce qu'on peut trouver facilement la provenance, la traçabilité, les informations nutritionnelles, tout ça ? C'est à voir...

Bon, chers amis, nous tenons beaucoup à vous, vous le savez. Alors pour le réveillon nous allons faire simple et sûr. Pour une fois je ferai la cuisine moi-même. Nous nous régalerons uniquement de pain complet, riche en fibres, et de végétaux du jardin, garantis sans pesticides, cueillis sur place le jour même, sans transport ni empreinte carbone. Nous les dégusterons crus, bien entendu, pour ne laisser perdre aucun nutriment, aucune enzyme ni la moindre vitamine. Et nous les mastiquerons lentement pour ménager nos estomacs.
Je sais : notre potager se limite à quelques jardinières de balcon, où ne pousse que du géranium. Mais je vais me renseigner. Ne vous inquiétez pas. Je vais quand même m'assurer qu'il ne s'agit pas de géranium 235 radioactif.



*Comme mon grand-père à Brionne, dans l'Eure, après la guerre...



22 octobre 2015

N° 152 - Camping *****


J'entends à la radio que notre Ministre de l'Intérieur s'est encore rendu à Calais, où nos voisins britanniques contraignent des milliers de pauvres diables à bivouaquer. On s'en émeut, à juste titre(1). On ne trouverait pas déplacé que les plus hauts dignitaires de la douce France et de la blanche Albion se rencontrent sur place, à l'exemple de notre François, premier du nom, et de Henry VIII, le terrible prédécesseur de leur gracieuse majesté. A l'époque, François et Henry, disposés à résorber quelques différends, convinrent de passer un peu de temps ensemble, aux marches mêmes de leurs royaumes. Il se trouve que le roi Henry avait conservé de ce côté-ci de la Manche un pied-à-terre : le Calaisis justement (que ses successeurs regrettent probablement)...

Lisons ce que rapportent les chroniques(2).
Sitôt la chose décidée, une noria de vaisseaux transporte depuis la Tamise tout ce qu'il faut pour qu'Henry s’installe près du village de Guînes, en son fief, avec son innombrable cour : matériaux, tapisseries, étoffes de velours, vaisselle d'argent... On y monte un palais de bois et de verre de cent mille pieds carrés "où y avoit quatre corps de maison qu'il avoit faict charpenter en Angleterre, et amener par mer toute faicte". On livre assez de bétail et de victuailles pour nourrir des milliers de bouches et suffisamment de vin pour alimenter deux fontaines pendant des semaines.
François Ier, lui, prend ses quartiers près de Ardres, en terre française, à trois lieues de là. Sa tente, haute comme une tour et couverte d'une étoffe d'or frisée, est tapissée de velours bleu "tout semé de fleurs de lis de broderie d'or de Chypre". Des centaines d'autres tentes, drapées de soieries, abritent la reine Claude et les grands du royaume. Les seigneurs invités à participer à la rencontre se ruinent pour l'aménagement de leurs tentes et les broderies de leurs pourpoints d’apparat. On dit qu’ils portent les forêts et les moulins qu'ils ont vendus sur leurs épaules ! La plaine de Flandre fourmille d'oriflammes, de baladins répétant leurs spectacles, de gentilshommes et de dames paradant en grande toilette. Même les chiens des suivantes portent des colliers de pierres précieuses. 
Cinq mille ouvriers ont participé aux travaux. Les deux villages comptent près de trois mille tentes, recouvertes de velours ou de drap d’or.  

C'était le fameux "camp du drap d'or"... Les temps ont changé. A l'époque, il n'y avait pas vingt millions d'habitants en France mais il parait que nous n'avons plus autant de moyens. Nous ne pouvons plus proposer à nos hôtes de passage que des containers recyclés ou des bâches de PVC plantées dans des cloaques fétides et nous ne savons plus leur servir que des soupes populaires...


(1)      Voir : http://www.change.org/appeldecalais
(2)        En particulier celles que cite le Comité des Fêtes de Ardres, fier de sa "géante" Belle Roze.


1 octobre 2015

N° 151 - A lire d'une traite


J'entends à la radio que l'agriculture, l'élevage, mon bon Monsieur, ça n'est plus ce que c'était... Je me souviens d'avoir essayé quand j'étais jeune (très jeune...) de traire une vache, assis sous elle, sur un petit tabouret de bois à trois pieds, dans l'herbage de l'Oncle Albert. Pas facile... Mais gouter le lait chaud, directement dans le seau en fer blanc, avec une vraie paille en paille ramassée dans l'herbe, quelle fierté !

Aujourd'hui la traite est assistée par ordinateur. Un robot palpeur commence par tripoter les pis pour y prélever et analyser de quoi détecter un risque de mammite (eh oui, on vivait dangereusement chez l'Oncle Albert)... Des charolaises sont équipées de "colliers d'activité". Quand une bête est en chaleur et ne tient plus en place, son collier envoie un SMS à l'ordinateur, qui programme aussitôt l'insémination. Des bretonnes pie noir sont pesées et scannées du mufle au bout de la queue tous les matins* : le logiciel ajuste aussitôt la composition des rations administrées à chacune par le robot ravitailleur.

La tablette est entrée à l'étable...

Mais il y a des trous paumés, pas couverts par l'ADSL, où il faut une heure pour enregistrer un veau nouveau-né, où des éleveurs qui ne peuvent utiliser leur PC portable au champ réclament le haut débit. Si Trenet était encore de ce monde, il chanterait peut-être une nouvelle mouture de :
     "Ah qu'il est beau le débit de lait 
     Ah qu'il est laid le débit de l'eau 
     Débit de lait si beau, débit de l'eau si laid 
     S'il est un débit beau c'est bien le beau débit de lait. "

 Là-dessus on apprend que des troupeaux de vaches sauvages errent dans les Pyrénées. L'une d'elles est même tombée sur une voiture au Perthus. Il semble qu'elles viennent de Catalogne. Peut-être rebelles et indépendantistes... Ou bien réfractaires aux fermes-usines et au numérique, et allergiques aux user-manuals, keyboards et softwares ? Les vaches espagnoles parlent si mal l'anglais...


*Je n'invente rien ! Si tu veux vérifier, réécoute sur France Inter le journal de 7h du 1er octobre.


Un vieux dessin de... 1978 (!) recyclé pour l'occasion.