26 février 2016

N° 160 - Repli



J'entends à la radio que le maire de Londres va faire campagne pour le Brexit. Il y a des Anglais comme ça, qui tiennent à se bouter eux-mêmes hors d'Europe !... Et qui, un jour peut-être, réclameront même qu'on mure le chunnel et saborde les ferries.

Pour un Normand comme moi c'est un vrai crève-cœur. Voilà neuf-cent-cinquante ans, presque mille, le Duc Guillaume débarquait à Pevensey (tandis que Mathilde faisait tapisserie)... Et depuis, l'Angleterre et la Normandie, au fond, c'est tout un. On ne peut pas rompre comme ça, sur un coup de tête, après mille ans de vie commune !... Tout n'a pas été rose, c'est vrai, mais on se connait tellement bien qu'on a à peine besoin de mots pour se comprendre.

Je ne veux plus y penser. J'ai besoin de me changer les idées, de faire un break. J'enfile mon sweat-shirt et je chausse mes baskets. Allons faire un peu de jogging outdoor. Mais cool, hein, pas trop speed. Tu as vu ? J'étrenne un nouveau legging. Assez bling-chic, c'est vrai. Mais il matche bien mon sweat. Je l'ai acheté dans un show-room, assez hype. Pourtant, je ne suis pas une fashion victim. Le vendeur était très friendly. Pfff, pfff... Il m'a proposé de le customiser, avec le nom d'un sponsor. LOL ! Moi, pour le look, c'est step by step. Je reste vintage, sans chercher à être au top. En trottant, j'écoute dans mes headphones, pfffoo... pfffoo... le best-off d'un crooner, un peu has-been, que j'aime bien. Il performe encore, en live, pas en play-back. Mais il n'est plus au hit-parade. Et il ne passe plus en prime time. Pfffoouuhh... Je souffle un peu. Le coin a l'air secure. J'en profite pour shooter un selfie avec mon iphone et pour le tweeter aux followers de ma short-list. Mais je vais avoir droit à un papy-bashing pour mon dress-code !

Oui, j'arrête, j'en fais trop. C'est bon de prendre l'air, c'est sûr... Et puis cette forêt, elle est rien belle ! Mais faut pas atiger. Je suis déjà pas mal décati, bientôt je pourrai pus arquer sans me bailler dans la vatte. Quand je serai tout acroqui, tout racrampi, j'aurai du mal à me déjuquer et je ne serai plus aussi vésillant. 
Alors plutôt que de toupiner ou de buzoquer, je serai bin content de m'atiffer, de mettre mon paletot et ma gapette pour aller beire un coup avec une bande de calleux. Ou d'aller tailler une bavette avec des touilleux de dominos, même s'ils m'élugent avec leur "couche-tout-nu" et leur "catouillez-moi-cha"... En tout cas, les Anglais et nous, c'est foutu. Alors, tant pis, rentrons nous camucher cheu nous. Comme le calimachon dans sa coquille. Allez, à tantôt, pi des gommes pour les bézots !


* Ceux qui n'auraient pas tout compris trouveront de l'aide sur http://melao.free.fr/patois.htm par exemple.



7 février 2016

N° 159 - Circonsplexe



J'entends à la radio que l'on écrira dorénavant nénufar. Simplement parce que le nom de cette nymphéacée dicotylédone dialypétale, malgré cette kyrielle de y, vient de l'arabe ninufar. Il n'a donc aucune raison de se parer des dépouilles d'un phi. 
Qu'on se le dise chez ce qu'il reste d'hellénistes : le ninufar est affaire d'arabisants. L'une de ses plus belles variétés (n'en déplaise à Tintin et ses cigares) est d'ailleurs le lotus bleu d'Egipte, le ninufaraon, que cueillait sans doute à brassées au pied des piramides l'épouse perverse de l'infortuné Putifar d'Alexandrie. Notons au passage qu'on dit plutôt nilufar en Perse, où, du temps du Shah Pahlavi (qui menait la vie de pacha), fleurissait l'éblouissante nilufarahdiba. 

Peut-être ira-t-on maintenant jusqu'à retirer le mot nymphéas de tous les catalogues, cartels et sites web de l'Orangerie, pour y faire place au (claude) mot nénufar, en regard des toiles immenses et nénufaramineuses du Musée ?

De mon côté je me suis d'ores et déjà employé à mettre à jour mon correcteur d'orthographe (encore un mot en sursis). J'ai épelé l'oignon pour en ôter la pelure d'un i superflu. Mais je reste à la merci d'un bug. Je sais, chers lecteurs, que vous et moi nous rejognons dans le souci de nous exprimer comme il faut, que nous élognons de nous la tentation de la facilité. Les uns comme les autres, nous sognons nos écrits et témognons ainsi de notre attachement à notre langue. Aussi, reconnaissons-le, ces innovations nous rendent un peu groignons. Pour une fois pourtant ce n'est pas une question de poignon. Nous n'avons pas à nous dire : "Bon, une fois de plus, roignons sur la dépense"... C'est une réforme qui ne coute pas cher. Au fait : coute ou coûte ?