26 février 2022

N° 269 - Ukraine


Faisons comme d'habitude... J'ai entendu à la radio, tôt jeudi matin, et nous suivons depuis à la télé, effarés, les premières nouvelles de l'agression de l'Ukraine. Nous voyons des milliers de gens rassembler en hâte quelques affaires pour fuir les bombes et l'envahisseur. D'autres fondre en larmes, ne sachant où aller. Ils nous rappellent l'exode de mai 1940, vue dans tant de films et de documentaires. Je ne m'en souviens pas, bien sûr : je n'avais pas deux ans. Mais ma mère m'a montré un peu plus tard une haute maison de brique aux fenêtres en saillie, en haut du bourg de Cany, près de la place du marché. C'est là qu'elle avait trouvé refuge avec moi et mon frère cadet, un bébé de quatre mois. Madame Bellanger, l'épouse du docteur chez qui ma grand-tante Elise faisait des ménages, avait offert de nous accueillir. Nous avions, j'imagine, pris le train à la gare de Rouen, pas loin de chez nous, et changé à Yvetot... Je me souviens par contre du vélo, un vélo tout bête et lourd, avec son guidon droit, un seul pignon et un porte-bagage. C'est sur lui que mon père, après nous avoir sans doute accompagnés à la gare, était parti vers le sud. Ce n'était pas un champion mais il avait quand même atteint Laval, en Mayenne, peut-être en deux ou trois étapes. Là, le voyant épuisé, quelqu'un avait proposé de l'héberger : c'était le secrétaire de mairie, qu'il ne connaissait pas, bien sûr. Je crois qu'ils sont restés longtemps en contact. Maman, évidemment, ignorait ce qu'il était devenu : il n'y avait pas de téléphone portable. Mais il refit bientôt le chemin en sens inverse et nous revînmes chez nous...  Des années plus tard c'est sur cette bécane trop grande pour moi, garée dans la buanderie au bout de l'allée, que je fis mes premiers tours de pédale.

Nous voyons les habitants de Kiev descendre s'abriter dans les galeries du métro. Et je revois les boyaux étroits et sombres des caves de la vieille école du quartier Saint-Gervais où, petits mômes effrayés, nous avancions à la queue leu-leu pendant l'alerte. Nous voyons les immeubles éventrés par des missiles. Et je me souviens de Rouen vue en flammes, en pleine nuit, la flèche noire émergeant du brasier, depuis nos fenêtres de Grand-Quevilly. Je me souviens de notre terrasse du premier étage entièrement couverte de débris, les miettes de la petite maison de nos voisins de la cité ouvrière des Papeteries, pulvérisée par une bombe perdue.

Je ne veux pas que des souvenirs du même genre reviennent un jour à la mémoire des plus jeunes de mes petits-enfants. L'Europe s'est unie pour que cela n'arrive plus, pour demeurer en paix et défendre la démocratie. Ne prêtons pas l'oreille aux discours haineux des apôtres des régimes autoritaires. Ils rêvent de guerre...

2 février 2022

N° 268 - Avis de recherche


A la radio l'autre matin Christophe Bourseiller, l'homme qui se plaint que ce monde le rend fou, s'étonnait du nombre des disparus volontaires*. A l'entendre dix mille de nos concitoyens se cassent chaque année, se carapatent ou s'esbignent sans laisser d'adresse. Dix mille se tirent des flûtes sans tambour ni trompette. Ou prennent la fille de l'air tout en se faisant la belle... la même sans doute. Evidemment nul ne sait jusqu'où ils ont pu filer à l'anglaise ni s'ils ont mis les voiles plutôt que les bouts pour prendre le large. Ni avec quelle poudre d'escampette ils ont bien pu brûler à la fois leurs vaisseaux et la politesse. On ignore combien se font vraiment la malle pour la poser ailleurs. Car si l'on peut compter ceux qui manquent à l'appel on est incapable de distinguer ceux qui se sont évaporés, volatilisés, ou dissous pour de bon, des petits malins qui se sont discrètement délocalisés et méticuleusement transfigurés, débaptisés et reconvertis. Un disparu n'est vraiment catalogué comme volontaire qu'une fois démasqué ou rentré au bercail. Sinon il tombe dans l'oubli, comme les autres.

Chacun peut citer un ami, un parent dont il ne sait plus où il se trouve ni ce qu'il y fait. Tenez, puisque nous sommes ici, qui sait ce que devient l'auteur des billets que nous avions l'habitude d'y lire ? Aucune nouvelle depuis deux mois ! Même s'il avait pris soin de prévenir que la périodicité de ses rendez-vous serait aléatoire, deux mois c'est long... Mais personne ne semble s'alarmer, personne n'a posté le moindre message confessant un manque. Tant que janvier n'était pas terminé nous pouvions patienter, temporiser, nous dire qu'il ne manquerait pas de publier quelques lignes et de nous souhaiter enfin une année au moins passable. Mais non, rien, pas un mot... Que faut-il craindre ou imaginer ? Qu'il se cloître en ermite à l'écart des clusters ? Ou fasse retraite chez Orpéa pour donner le change, perçu deux fois par jour ? Et si, tout simplement, il était au contraire un peu sec, entre deux vagues, entre deux o, micron et méga ? A moins qu'il ne se soit mis aux verts, attristé par la campagne. Ou qu'il ne lui reste plus à raconter aucun vieux souvenir, aux relents de "mieuZavant" ? Plus rien à mettre en chanson sur des airs démodés...

Si vous avez un indice, inutile de prévenir la maréchaussée. Si vous le retrouvez, abordez-le avec douceur.

 


*https://www.franceinter.fr/emissions/la-chronique-de-christophe-bourseiller (30/1/2022)