21 janvier 2016

N° 158 - Stats et probas


J'entends à la radio qu'il y a aujourd'hui 66,666 millions1 d'habitants en France, mais que cette population vieillit. Ca, je m'en rends compte. Quand je reconnais, dans la rue ou sur l'écran, quelqu'un que je n'ai pas vu depuis un bout de temps, je me fais souvent cette réflexion : "Dis donc, Untel, il ne rajeunit pas !.." J'entends même que la mortalité s'accroit. Cela ne me surprend pas non plus. Chaque jour on nous apprend qu'un chanteur, un comédien, un musicien, un écrivain "nous a quittés". Et les jours où il ne se passe rien, je veux dire où personne n'a passé, on honore ceux qui sont "partis" il y a vingt ou trente ans. Tous des gens que j'ai connus, et de longue date... Mais j'entends maintenant que notre espérance de vie n'augmente plus2. Ca, c'est anormal ! Je tenais pour acquis le droit d'y ajouter un trimestre chaque année. C'était une autre forme de retraite complémentaire3. Voilà encore une promesse qui ne sera pas tenue...

L'espérance de vie, à vrai dire, on ne sait pas très bien ce que c'est. Tu lis dans le journal qu'elle est de 79 ans pour un homme. Je dis "tu" pour que tu comprennes, en te mettant à ma place. Du coup, tu réalises : "Eh ! C'est du peu au jus !" Tu t'inquiètes, bien sûr. Tu connais l'expression4, puisque tu as fait mon service militaire. Mais on t'explique que 79 ans ça ne vaut que pour les nouveau-nés de cette année. De ton temps c'était seulement 56 ans.

Et là, finalement, tout compte fait, je respire. J'ai déjà fait tellement de rab que je ne suis plus concerné. On m'a oublié. Je suis un cas à part, unique, exceptionnel. J'ai eu de la chance et il n'y a pas de raison que ça s'arrête. Ce serait tellement injuste ! Il me reste tant de choses à faire ou à refaire, à voir ou à revoir, à lire ou à relire,  à écouter, visiter, découvrir, apprendre, gouter, essayer... Je suis tellement curieux de voir grandir et devenir tous ces petits-enfants, tous ces jeunes gens... Et comme je me sens plutôt en forme,
     C'est l'espérance folle 
     Qui danse et vole
     Au dessus des toits...   5

N'empêche, tu es quand même curieux de faire un tour sur internet pour savoir, au point où tu en es dans ton cas personnel, jusqu'à quand je vais rester immortel. Tu tombes sur un site qui te propose de faire le calcul6. C'est sérieux, c'est basé sur les statistiques de l'INSEE. Tu tapes seulement notre date de naissance et... bingo ! C'est encore bon pour dix ans et six semaines, jusqu'au 4 mars 2026. L'INSEE, lui, connait et le jour et l'heure. Sauf tsunami, grippe H8N12 ou canicule imprévisibles. En y échappant j'aurai droit à un petit sursis puisque la moyenne des autres aura baissé. Par contre, toi, a priori il n'y a pas de raison pour que ça change. Tiens, puisqu'on en parle, je vais tout de suite le noter et prévoir de me libérer quatre ou cinq jours après. Ca tombera un lundi, c'est bon. Je viendrai, tu peux compter sur moi, je serai là.

     C'est l'espérance folle
     Qui carambole
     Les tombes du temps...












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1 Autrement dit : (2/3)*108
3 A propos de retraite : les femmes, qui en profitent plus longtemps, est-ce qu'elles ne devraient pas cotiser davantage ?
5 Guy Béart


8 janvier 2016

N° 157 - Traits d'unions


J'entends à la radio qu'on a trouvé comment terroriser les terroristes, comme tonnait l'implacable Pasqua. Ceux qui ont hérité de deux nationalités voient brandir au dessus de leurs têtes un fer plus redoutable qu'Excalibur, plus inquiétant que l'épée de Damoclès, plus fulgurant que le sabrolaser de Dark Malak. On les menace d'une bouche à feu plus monstrueuse que la Grosse Bertha. On leur réserve un enfer plus terrifiant que la bombache du sublime camarade général Kim-Jong-Un n°III. On leur promet l'abomination de la désolation : la déchéance ! Leur carte d'identité sera lacérée, cisaillée, mise en pièces. Mais ça fait marrer les djihadistes... Et les plus effarés sont les citoyens dont un parent est né autre part.


On choisit pas ses parents1,
On choisit pas sa famille
On choisit pas non plus
Les trottoirs de Manille
De Paris ou d'Alger
Pour apprendre à marcher.
Etre né quelque part
Etre né quelque part
Pour celui qui est né
C'est toujours un hasard
Nom'inqwanda yes qxaq iqwahasa  [...]

Est-ce que les gens naissent égaux en droit
A l'endroit
Où ils naissent
Que les gens naissent
Pareils ou pas ? [...]

Je suis né quelque part
Je suis né quelque part
Laissez-moi ce repère
Ou je perds la mémoire
Nom'inqwanda yes qxaq iqwahasa.

On m'a parlé d'un quidam du Kremlin-Bicêtre né en Suisse Normande d'un père Serbo-Croate. L'un de ses grands-pères avait porté l'uniforme Austro-Hongrois. Sa mère venait du Canada Français et son épouse est afro-américaine. Il a longtemps bossé chez FrancOrusse (vous vous souvenez, les entremets ?) puis dans une banque anglo-normande. Il n'ose plus raconter son histoire ni décliner son gentilé2. Surtout pas à son voisin. Celui-là a la tête près du bonnet, est fier des racines de sa souche et réclame qu'on rétablisse la peine de mort. Il tient pour suspect quiconque parait vaguement arabo-musulman, eurasien, judéo-chrétien, gallo-romain, franc-comtois ou syldavo-bordure. Il serait sans pitié pour de présumés ennemis de l'intérieur. Partisan qu'on les fusille très sévèrement tous les matins, comme le Papa Schulz de "Babette s'en va-t-en guerre" en menaçait BB.. Ou qu'on les crucifie après les avoir décapités, ainsi qu'il est fait à Riyad à ceux qui fâchent le roi3.  Alors, comprenez mon quidam : on ne sait jamais...

A part ça... Je lis dans le journal : "À Michel Galabru, mon professeur de 93 ans", un hommage de Yannis Ezziadi, un comédien de 24 ans4. Punaise... J'en avais 21, moi, quand j'avais son père, oui son père, comme professeur. Pas le père Ezziadi, le père Galabru ! Paul Galabru. Tout le portrait de son fils. Il enseignait les Procédés Généraux de Construction5. Il fallait l'entendre intimer au grouillot de l'amphi l'ordre de mieux régler la lanterne magique qui projetait des photos de chantier de couleur sépia : des échafaudages en bois, des grues à vapeur... Il grondait, avec le même accent que le boulanger cocu, la même impatience que le pandore de Saint Trop' : "Mettez au pouing ! Mettez au pouing !" C'est loin. C'était hier. C'était le bon temps. Encore que... il y avait la guerre en Algérie. Et que c'est pas fini...



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1 "Etre né quelque part", Maxime Le Forestier. Album Bataclan 1989. https://www.youtube.com/watch?v=4DTbe2W3Fqg
2 Gentilé : terme désignant les habitants d’un lieu, d’une région, d’une province, d’un pays, d’un continent, par référence au lieu où ils habitent.