18 octobre 2012


N° 90              L'alarme à l'œil

 
J'ai entendu à la radio qu'on peut maintenant se faire trucider pour un mauvais regard… En attendant qu'on m'éclaire sur l'aspect de ma prunelle qui pourrait me valoir un sort aussi funeste, je me demande si je ne ferais pas mieux de garder mes yeux dans ma poche.

 Il m'est peut-être arrivé de bredouiller jadis à quelque damoiselle : mourir vos beaux yeux, belle marquise, d'amour me font. Mais défaillir sous un regard, c'est plutôt délectable et l'on ne trépasse pas pour si peu. Sans doute ai-je aussi frémi un jour en m'avisant, comme Marc Lavoine, qu'elle avait les yeux revolver et le regard qui tue. Mais qui est jamais vraiment mort foudroyé d'un cillement ou fusillé d'une œillade ?...
 
A l'inverse, quel regard me faut-il donc porter sur un sujet ombrageux et atrabilaire pour qu'il m'occise pour de bon et m'expédie ad patres, sans autre forme de procès ? Passe encore, si je pose mon regard sur un quidam ou croise distraitement le sien, qu'il me lorgne du coin de l'œil. Je concevrai qu'il me décoche un regard pénétrant et furibond si celui que je lui ai jeté par en dessous était oblique et torve. J'admettrai qu'il me darde un regard de braise ou d'acier si je lui ai fait un clin d'œil de bœuf, de perdrix, de merlan frit ou de Moscou qui n'était pas en face des trous. Je comprendrai même, à supposer qu'elle m'ait tapé dans l'œil, celui qui se serait laissé aller à dévorer ou déshabiller sa compagne, qu'il me le mette au beurre noir sans attendre que je me le sois bien rincé.

 Mais de là à me suriner et m'étriper ! Au motif qu'il ne souffre pas de voir dans mon œil la moindre poutre ou le plus infime fétu ? Ou qu'il n'y tolère ni doigt, ni compas, ni coquetterie ?... Ai-je encore un droit de regard ? Cela m'inquiète... Je ne me résous pas à m'en battre ni tamponner l'œil. Je pourrais par précaution porter des ray-bans ou une cagoule de burqa. Mais puisqu'après avoir exploré ma cataracte on propose de m'en opérer, je vais plutôt opter pour un implant terne, trouble et vitreux, qui me fasse le regard aussi absent, éteint et inexpressif que possible…

13 octobre 2012


N° 89       Poil à gratter

 
J'entends à la radio que notre ancien président s'est mis à la mode* de la barbe de trois jours. Façon Docteur House, What Else, ou Gainsbarre. Le look du bad boy viril qui n'a pas pu se refaire une beauté après avoir été retenu au pieu jusqu'en milieu d'après-midi...

J'ai longtemps été intrigué par les barbes de trois jours. J'imaginais naïvement qu'il fallait cesser de se raser l'avant-veille d'une apparition en public ou d'un passage à la télé ; j'enviais cette aptitude à maitriser son agenda. Je présumais aussi qu'il pouvait en exister de postiches, à plaquer sur un menton glabre.



Je sais maintenant que notre ex prend chaque matin le temps de se tailler soigneusement le poil avec une tondeuse sans sabot (notez bien : sans sabot ; c'est important) réglée pour le calibrer à 2 ± 0.5 millimètres de longueur. Puis de ratiboiser tout ce qui se trouve au dessous de la ligne où son menton rejoint son cou. Enfin d'atténuer le contour de sa barbe en y repassant la tondeuse mais cette fois avec un réglage inférieur d'un cran au précédent. Oui c'est technique, et c'est du boulot… Ca requiert même tellement d'attention que je doute qu'il puisse penser en même temps à la prochaine élection présidentielle, celle de dans cinq ans. D'ailleurs, en affectant de ne plus se raser, ne voudrait-il pas faire accroire qu'il exclut d'ores et déjà tout retour ?

J'en connais qui, s'ils lisaient maintenant par-dessus mon épaule, me souffleraient d'ajouter : peut-être, mais avec le nouveau président, c'est la barbe depuis cent cinquante jours !

 

 * Comme dit l'un de ses copains, la barbe, il y vient.