4 juin 2021

N° 261 - Radio Papy


J'entends à la radio que la radio fête ses cent ans. Tiens, seulement cent ans ? Je lui en aurais donné plus... Je croyais que les premiers essais de TSF remontaient à 1900, en gros. Mais oui les enfants : la radio, ça existait déjà quand j'avais votre âge ! Bon, pas la télé, pas l'ordinateur ni les jeux vidéo, ça, d'accord. Et le smartphone, le GPS, Auchan, la trottinette électrique, MacDo, les satellites, tout ça, ça n'existait pas non plus, c'est vrai. Mais la radio, oui, quand même ! 
Evidemment ça n'était pas pareil. Le poste où, en famille, on écoutait Geneviève Tabouis et Zappy Max était beaucoup plus encombrant que vos écouteurs bluetooth. C'était un meuble verni, avec un cadran couvert de noms de patelins inconnus : Allouis, Hilversum, Droitwich, Beromünster... Bien sûr on allait regarder derrière pour comprendre d'où venaient les voix, comment se faisait la musique. On n'y trouvait que des lampes à tête noire, des cylindres de fer blanc, des chapelets de tubes, des boucles de fils.

Mais le plus mystérieux c'est ce que l'oncle Victor, je crois, nous avait bricolé. Ça tenait sur une planche de bois de la taille d'un livre. Il y avait une bobine de cuivre bien serrée le long d'un tube de carton. Un fil d'antenne montait à l'angle du mur et une prise de terre s'enroulait sur le tuyau du radiateur. Il y avait aussi un écouteur, emprunté à un vieux téléphone. Et puis un petit levier articulé dans tous les sens au bout duquel se trouvait une pointe. Et, calé sur son support, un caillou. Un caillou noir et luisant comme un éclat de météorite : un morceau de galène (un minerai de plomb). Tout cela n'était branché à rien, il n'y avait même pas de pile. Quand c'était mon tour j'attendais qu'il fasse nuit, près de la table de chevet où l'appareil était posé et, dans le silence, l'écouteur à l'oreille, j'explorais très lentement la surface du caillou avec la pointe du levier. C'était une affaire de patience, une question de veine. Et parfois ça marchait ! J'entendais une voix lointaine dans une langue inconnue. Ou un piano du bout du monde... Mais il suffisait d'un rien, d'un tremblotement, pour que ça s'évanouisse. Il fallait tenter à nouveau sa chance, reprendre l'auscultation du cristal, pour tomber peut-être sur d'autres voix, d'autres musiques.

Comment ça marchait ? Eh bien, heu... La bobine, c'était le récepteur et la galène, le détecteur. Tu vois ce que je veux dire ? Non ? En fait, moi non plus... Je n'ai jamais vraiment compris les choses que je ne peux pas voir de mes yeux ou toucher du doigt. Alors les ondes, à part celles qui font des ronds dans l'eau, je l'avoue, j'ai toujours eu du mal... L'ennui c'est que depuis que Marconi a commencé à jouer avec, après Herz, Branly et le fameux Popov, il en fuse de partout : des longues, des courtes, des micros, des wifi, des amplifiées, des modulées... Le matin, quand j'allume le petit poste que je garde une heure en équilibre sur l'oreille, il doit y en avoir des milliers qui circulent tout autour, à toute vitesse, qui me filent entre les doigts, qui me traversent le corps comme si j'étais un ectoplasme. Je baigne dans une soupe d'ondes bouillonnante. En fait ce n'est pas une soupe : elles ne se mélangent pas, ne se fondent pas les unes dans les autres. Je ne sais pas comment elles se débrouillent pour être là, partout, bien distinctes mais toutes ensemble, disponibles au moindre clic, mais invisibles, impalpables... Pour moi, après les 3D et le temps, c'est une cinquième dimension insaisissable. Et ça me laisse craindre qu'il y en ait quelques unes de plus, que je ne suis pas là de comprendre...

Désolé, les enfants... Les ondes et moi... A part celles de La Fontaine ?
"Un agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure
"...