12 décembre 2011

N° 73              Mécomptes de Noël


J'entends à la radio des voix éphémères… J'ai gardé l'écouteur à l'oreille, dans le noir. Je perçois des mots sans suite, des notes éparses, des bulles, des bribes… Des nombres… Ma date de naissance… Ma date de naissance et mon numéro-chance… Ils sont sortis au loto. J'ai gagné à l'euro-milliards. J'ai gagné mille sept cents milliards d'euros ! Le Directeur de l'Européenne des Jeux me prend par l'épaule, s'assure que j'ai bien saisi : presque deux millions de millions. Il ânonne en remplissant le chèque : un, point, sept, zéro, zéro, point… Mais la case n'est pas assez longue pour neuf autres zéros, avec deux points. Il sort un billet de son gibus, un billet vert de cent euros. Je n'en avais jamais vu, jamais eu, mon dab ne m'en a jamais fourni. Le directeur préfère me remettre mon gain en coupures de cent euros. Avec son assistante en oreilles et queue de lapin il en compte soigneusement dix-sept millions, une à une. Il les fait empiler face à son bureau, sur la Place de l'Etoile, bien au carré. Le tas est bientôt aussi large, aussi haut que l'Arc de Triomphe. Les voitures l'évitent, passent sous l'arche, sur le soldat inconnu. La flamme s'est éteinte. Une saute de vent soudaine jette mes billets dans les nues. Ils planent là haut, survolent les Champs, où des hula hoops ceinturent de lumière les platanes de Noël. Platannenbaum, platannenbaum. Ils s'abattent sur le jardin de l'Elysée comme un nuage de sauterelles. Je sonne chez le Président. Il est en pyjama. Je l'ai réveillé. Il est fatigué, trop de soucis, la notation, les biberons, la dette… Il n'a presque pas dormi à Bruxelles. Dehors nous nous frayons un chemin, des billets jusqu'à la taille et jusqu'aux genoux, comme dans les algues vertes. Il sonde l'épaisseur avec une longue règle d'or. C'est plus épais le long des grilles. Des gardes républicains ramassent ce qui coule entre les barreaux. Il pense qu'il y en a bien pour autant que la dette. Je dis : c'est trop pour moi, gardez au moins quatre ou cinq cents milliards, ce qu'on vous doit depuis que vous êtes là. Il ne veut rien savoir. Il l'a décidé avec Angela. Les anges là dans nos campagnes ont entonné l'hymne des cieux. Ce ne sont pas les banques, le marché, l'européenne des jeux qui vont rembourser. Ce sont les états, les contribuables. Il allume dans un bureau, branche un ordinateur, projette des camemberts power-point entre les moulures dorées des lambris blancs. Chacun participera selon ce qu'il paie d'impôt. Ce sera juste, équitable. La dette c'est trente-cinq fois l'impôt sur le revenu. Tu sais combien tu paies ? Euh, non… Beaucoup. N'importe. Il faudra que tu fasses un versement exceptionnel de trente-cinq ans. Pas tout de suite, tu as un peu de temps. Mais pas trop quand même… A cause d'Angela. Stille Nacht, heilige Nacht. Je dis : bon, je vais quand même ramasser mes billets, faire déjà un voyage, en RER. De bon matin, je reprendrai le train. Auriez-vous un sac à me prêter ? Il jette au broyeur les couches qui restent dans un grand sac Pampers et me le tend. Jouez hautbois, remplissez musette. Mais dans le parc il y a encore eu un coup de vent, ou bien les gardes ont eu le bras long. Je vais vers l'Etoile, qui me guide. Mon sac est vide. Les voitures ont recommencé à tourner en rond. La flamme s'est rallumée. Ma radio aussi.