26 février 2021

N° 256 - Un monde à l'envers


J'entends à la radio que la Nouvelle Zélande, fermée aux étrangers depuis bientôt un an, va le rester pendant des mois encore, le temps de voir ce que donne le vaccin dans le reste du monde. Cet isolement splendide et volontaire lui a plutôt réussi puisqu'on n'y compte que 25 décès dus au covid. L'équivalent de 335 chez nous, au lieu de 85000 ! De quoi rêver, comme dirait l'autre, aux possibilités d'une ile...

Bien sûr c'est facile de se soustraire à la contagion quand la première terre habitée (et encore...) est à 2000 kilomètres. Je n'avais pas réalisé qu'il y a nettement plus loin de Sydney à Christchurch que de Nice à Bastia quand j'eus l'occasion (il y a près de 40 ans, déjà...) de faire ce saut de puce. Les aléas du métier m'ayant mené jusqu'à Sydney, sur la face cachée de la planète, via Delhi et Singapour, je pouvais après tout rentrer chez moi par un autre chemin, tel un roi mage. D'autant plus que j'avais cette fois-là (outre un billet open) une bonne raison de revenir par l'est, par Christchurch, Honolulu et Los Angeles : mon homologue anglais de nos comités de jumelage avait en effet subitement émigré de l'autre côté du monde. J'allais être, le temps d'un weekend, le premier visiteur de la famille !

Pas plus qu'aujourd'hui on ne descendait d'un avion atterrissant sur le sol néo-zélandais comme du métro. On y restait assis le temps qu'une escouade sanitaire harnachée de blanc en parcoure solennellement les allées en vaporisant à la ronde un nuage dense et microbicide. Car depuis que le premier homme, un maori, il y a sept cent ans, et le second mammifère, un mouton, il y a deux cents ans, ont mis le pied sur leurs iles, les néo-zélandais se méfient de tout ce qui pourrait infester, envahir ou dénaturer leur paradis.

J'eus donc à ouvrir ma valise devant un solide gabelou costumé en boy-scout - chemisette et short clairs, couvre-chef à la Baden Powell retenu derrière les épaules par un lacet de cuir - dont le comptoir donnait sur le grand hall où déambulaient les passagers. Il entreprit une inspection précautionneuse de mon bagage où, comme d'habitude, j'avais tout rangé par couches. Il mit bientôt la main, sous mon pyjama, sur un petit wallaby bien à plat. Une peluche bien sûr... Il en inspecta l'étiquette, caressa et renifla la fourrure, en conclut apparemment qu'elle était synthétique, ce qui, bien que décevant pour moi, semblait lui convenir : il n'y avait rien d'organique ni d'encore un peu vivant là-dedans. 

Poursuivant l'exploration de mes strates vestimentaires, mon douanier en rangers et mollets velus sortit d'entre deux pantalons un chapeau de brousse à large bord ; il libéra en le déployant la douzaine de petits bouchons qui lui étaient suspendus dans le but de chasser par leur balancement les mouches du bush ou de l'outback. Là encore après avoir expertisé d'un doigt circonspect le liège des bouchons il sembla rassuré sur son incapacité à reprendre racine et posa le galure sur le comptoir, près du kangourou, en vérifiant d'un coup d'œil que je ne souhaitais pas m'en coiffer. 

Puis il atteignit les dépôts profonds, ceux des brochures, des rapports et des pochettes de transparents à rétroprojeter. Il en extirpa un autre objet mince, qui cette fois lui posait manifestement un problème : c'était vraiment du bois...
- What is that ?
- Ca ? Un boomerang, évidemment*.
Il le retournait, le soupesait... Il allait me le confisquer, c'est clair, m'obliger à trouver un autre cadeau-souvenir pour mon petit dernier...
- Does it work ?
- I hope so...
- You didn't try ?
- No, not yet...
Là, d'un large geste du bras, il montra le hall grouillant de monde :
- Try here !
Et il me mit le boomerang dans la main. Non, sérieux ?... Je changeai de main. Il me la retînt aussitôt :
- Hey, you're left handed ? Stop ! Sorry, you didn't get the proper one, you might kill someone.
Et il éclata de rire devant ma mine déconfite, me donna une grande tape sur l'épaule, ravi de sa blague, et m'aida à ranger mes affaires. N'empêche qu'il y a des failles dans la sécurité sanitaire de la Nouvelle-Zélande : j'aurais pu ce jour-là faire à moi seul plus de victimes que le virus...



*Une réplique qui devait, plus tard, être plagiée par Augustin Trapenard sur France Inter, à 8h59.


Face bombée dessus, face plate dessous.


P.S. Deux grands voyageurs-randonneurs devant l'éternel (appelons les Pat et Jo) me font l'amitié de confirmer mes dires :
"Une bien plaisante histoire ! Ça nous a rappelé notre arrivée à Auckland sur les coups de minuit, abrutis de décalage horaire, où on nous confisqua nos chaussures et bâtons de randonnée pour analyse de la terre qui s'y trouvait accrochée et désinfection du tout avant d'être autorisés à entrer dans ce beau pays. Have fun !" 

4 février 2021

N° 255 - Crotte de brique



J'entends à la radio qu'on sait enfin pourquoi les wombats font des crottes cubiques. Le genre d'information qui vous fait du bien, au petit matin : enfin quelque chose d'inattendu, qui vous change des mutations du virus et de l'embarras du choix d'un vaccin ! Des cracks en dynamique des fluides ont compris comment le wombat contrôle l'élasticité variable de son colon pour parvenir à ce résultat. Ils en ont même conçu un modèle mathématique. Des éthologues prétendent que si les wombats s'astreignent à produire ces petits brownies c'est pour construire des murettes ou des cairns qui marquent leur territoire. Je n'en sais rien... Vous me direz que je n'ai qu'à retourner en Australie pour vérifier. C'est vrai qu'ils ont tellement d'animaux bizarres, là-bas, down under. Mais c'est loin ! Après tout, des wombats on peut en voir chez nous dans les zoos.

Mais ce matin j'entends aussi que la révolte gronde dans le Pas-de-Calais contre le projet d'une immense serre où l'on pourrait voir quantité de papillons et de toucans du Costa Rica ou du Brésil voler dans une jungle tropicale. Les contestataires trouvent cela aussi incongru qu'un bobsleigh au Sahara. Les plus déterminés défendent mordicus la biodiversité, mais sur place, dans son jus. Un jour sans doute ils exigeront que les wombats de Thoiry et de Beauval soient réintroduits chez eux, dans les forêts des New South Wales. Petit à petit il ne restera plus dans nos parcs zoologiques que des ânes du Poitou, des canards de Duclair et des chèvres de Monsieur Seguin. Pour les autres nous nous contenterons des documentaires animaliers de la télé (ceux de la BBC sont remarquables).

Une chose en entrainant une autre, nous serons bien heureux qu'il nous reste les VOD quand nous aurons rendu aussi l'obélisque aux Egyptiens, leurs masques du Quai Branly aux Papous et renvoyé la Vénus de Milo se faire voir chez les Grecs. Mais après tout n'est-ce pas ainsi que nous vivons depuis que nous sommes confinés ?



Références : Si vous vous méfiez des vérités alternatives, tapez par exemple "wombat cubique" et "serre berck" sur google...