25 mars 2023

N° 285 - A court d'eau bénite ?

 J'ai entendu à la radio que les légumistes de Perpignan, désespérés de voir leurs laitues et leurs concombres sécher sur pied, ont emmené Saint Gaudéric faire le tour de leurs maraichages pour qu'il prenne conscience de la situation.

Ils ont été exaucés : il a plu comme vache qui pisse dès le lendemain matin. Mais je ne vous dis pas le ramdam en très haut lieu ! Saint Patern, un ancien évêque de Vannes qui garde un œil sur la récolte de la charlotte du Morbihan, n'a pas apprécié du tout de se faire griller la politesse. Mais ce ne fut rien comparé au courroux des deux frères Saints Maux et Vénérand qui veillent depuis des siècles sur la fraicheur des pâtures du diocèse d'Evreux : on aurait quand même pu se mettre d'accord pour pleuvoir tous ensemble sur les paroisses de France, sans tirer la couverture nuageuse à soi !

De toute façon il y a longtemps que les paysans ont fait une croix sur Saint Médard, ce picard pas si bon apôtre qui refuse obstinément toute coopération pluvieuse avant juin, où c'est déjà trop tard, et qui ne promet jamais, au mieux, qu'une resucée dans six semaines. Ils se méfient aussi de Saint Barnabé, un levantin qui ne connait rien à nos terroirs mais qui serait capable de lui couper l'eau et l'herbe sous le pied dès la première drache. Il n'y a même plus un fermier qui prenne Saint Gervais au sérieux quand il prétend refaire le coup de la Saint Médard, dix jours après... 

Il reste quand même quelques croquants prêts à s'en remettre à Saint Antoine : puisqu'il a arrêté l'ondée qui menaçait ses ouailles (tu parles d'un miracle...) il peut bien en déclencher une à la demande ? Mais j'ai eu, moi, un ami parachutiste - paix à son âme - qui, un jour, est parti en torche. Il a levé les yeux vers là d'où il tombait et il a appelé : "Saint Antoine, aidez-moi !"  Alors sont sorties d'un nuage une main, qui a saisi sa toile, et une voix :"Quel Saint Antoine ?" "Euh... Saint Antoine de Padoue." Alors le Saint Antoine a lâché : "C'est pas moi", et le parachute. Vous la connaissiez, bien sûr, mais elle est bien bonne. Surtout la chute. Alors, vous savez, faire confiance à Saint Antoine, même pour un parapluie...

Savoir à quel saint se vouer, c'est un sacré problème... A mon avis, plutôt que de prier, essayez donc de chanter maintenant, de votre pire. Ca n'est pas ça qui manque, chez nous, les chansons à pleuvoir : "Il pleut sur Nantes", de Barbara ; "Le jour où la pluie viendra", de Bécaud ; "Un p'tit coin d'parapluie", de Brassens ; "Il peut pleuvoir", de Brel... Tiens, il me manque le cinquième B ? Ah, Béart ! Mais pour Béart "il fait toujours beau quelque part".




2 mars 2023

N° 284 - Méga-bassin

 

J'entends à la radio que nous allons peut-être manquer d'eau : il n'a pas plu depuis des lunes et les nappes risquent d'être à sec dans quelques mois. A la campagne, où l'on craint le pire, on voudrait pouvoir stocker en hiver l'eau nécessaire aux cultures en été. Mais les Verts, qui se méfient de l'évaporation autant que des pompages abusifs et du maïs trop gourmand en arrosage, combattent les projets de méga-bassines.

Le seul projet qui ait échappé à leur vigilance, c'est celui du château de Saint-Germain-en-Laye.

Quand Versailles fût assez avancé pour que le Roi Soleil y déménageât avec sa cour, André le Nôtre, son jardinier, dût laisser en plan le bassin de 25 toises qu'il rêvait de créer devant le Château Vieux. Il n'avait encore tracé de sa plume d'oie qu'un simple cercle à l'encre de Chine sur le papier bistre.

Beaucoup d'eau passa sous le pont du Pecq... Autour de l'abreuvoir de Marly-le-Roi des chevaux-vapeur remplacèrent ceux qui allaient "y boire ensemble". Puis un premier chemin de fer "atmosphérique" parvint à hisser les Parisiens endimanchés jusqu'au pied du château, par un tunnel, sous le parc. Puis on creusa là un énorme trou pour construire la gare-terminus du RER. Une fois l'excavation comblée, une fois les allées et le grand parterre rétablis, il restait sur le remblai compacté de l'esplanade un grand rond un peu creux, là où Le Nôtre aurait fait son bassin.

De l'eau passa sous les ponts du Pecq, du RER et de l'A14... Puis un ravalement rendit toute leur splendeur aux façades du château et il vint aux édiles et à l'architecte en chef du monument l'impérieux désir d'achever enfin l'œuvre du grand roi. L'emplacement était libre, il suffirait d'une mince dalle de béton, d'une margelle et de quelques tuyaux : la décision fut vite prise.

Un ingénieur un peu scrupuleux fit quand même valoir qu'il y avait là dessous, tout près, des galeries abritant des voies ferrées électrifiées et même toutes les archives de la RATP : le bassin ne saurait donc se déformer, se fissurer ni fuir si peu que ce soit. Il fallait absolument poser la dalle sur un plateau rigide. On en fit les plans. Une batterie de gros profilés en acier, enterrés juste de ce qu'il fallait, ferait l'affaire. Ils reporteraient tout le poids du bassin sur des lignes parallèles de pieux minces, longs de 25 m, de sorte que les ouvrages souterrains n'auraient même absolument rien à supporter.

Un peu d'eau coula sous les ponceaux du Rû de Buzot... Un ingénieur en chef plus rigoureux encore interdit alors que la ligne de pieux qui devait servir d'appui intermédiaire s'insérât dans l'intervalle jugé trop étroit des deux tunnels, l'ancien et le nouveau. Il fallait donc franchir les 50 m d'un coup. Le plancher devint un véritable tablier de pont, aux poutres hautes d'un bon mètre...

C'est ainsi qu'on inaugurera bientôt à Saint Germain un grand bassin surélevé, suspendu façon Babylone. Ceux qui rêveraient d'admirer dans ce miroir d'eau le reflet de la noble façade du château pourront le faire, mais en grimpant aux arbres qui bordent l'allée menant à la Grille des Loges...