22 mars 2021

N° 257 - Le mot qui fâche


J'entends à la radio que notre grand manitou désapprouve le mot. Son porte-parole diligent (qui excelle à distiller la quintessence de la pensée complexe de son mentor à petit renfort de circonlocutions et d'ambages embarrassées) l'a aussitôt rayé de son glossaire et de ses éléments de langage. Mais ces subterfuges confinent à l'amphigouri...

L'Emmanitou n'est pas content. Ses confidents le confirment et ses conseillers le confessent : le mot ne lui convient pas. Son préfixe, dès les premières consonnes, contrevient aux convenances mais, surtout, il lui confère une connotation contestable. Il contribue à convoyer le concept de contact, de compagnie ou de convivialité, voire de concentration. Un conciliabule et une conférence, une convention comme un conclave, un concert, à l'instar d'un congrès, constituent une convergence, un concours de peuple qui n'est pas concevable dans un contexte de contagion et de contamination.

Chacun le discerne sans qu'il soit besoin de discours, on ne saurait en dissuader personne ou le dissimuler : il faut, sans s'en laisser distraire, garder ses distances, discrètement mais avec discipline. On ne peut s'en dispenser pour se distinguer : il faut se disperser, se disséminer, se disloquer sans discussion, se disjoindre, bref se dissocier. En un mot : se disfiner.

Voilà, nous allons cette fois plutôt nous disfiner pendant au moins un mois. Un mois où, chaque jour, nous nous éparpillerons dehors aussi longtemps que possible. Un aéropage d'experts interministériels planche sur une nouvelle mouture de l'attestation. On devra, pour obtenir la permission de rentrer chez soi à la tombée du couvre-feu, y cocher au moins cinq des dix alibis présumés valables pour regagner ses pénates comme : donner au chien ses croquettes, changer de masque, recharger son téléphone, faire pipi, voir l'épisode de "Plus belle la vie"...