23 septembre 2022

N° 277 - Hors circuit ?

J'entends à la radio le ministre de la santé, le nouveau, Monsieur Braun... Je vérifie quand même... Oui, Braun, c'est bien ça. L'autre jour j'ai entendu successivement Elisabeth Borne, Clément Beaune, Laurence Boone, Yaël Braun-Pivet, Dany Boon, maintenant François Braun alors, c'est vrai, je m'y perds un peu. Au moins Boon n'est pas au gouvernement, du moins pas encore. Donc François Braun annonce qu'on aura bientôt droit à des consultations gratuites à 25, 45 et 65 ans. Ça, c'est bien. Veillez quand même à confirmer votre rendez-vous d'une fois sur l'autre parce qu'aujourd'hui, déjà, il faut s'y prendre des mois à l'avance pour n'importe quel rancard. Oui, c'est comme ça maintenant, il faut penser à programmer ses études sur parcoursup, ses vacances sur abritel, ses voyages sur booking et ses maladies sur doctolib. Mais ça n'est pas facile : trois mois à l'avance, on ne sait pas toujours quelle maladie choisir. Et il y a des imprévus : le toubib prend sa retraite, il craque ou il chope le covid et tout est à refaire ; je sais, ça m'est arrivé. On dit que des petits malins retiennent tous les premiers rendez-vous libres pour les proposer sur la toile. Quelle époque ! Alors les consultes gratuites de Monsieur Braun, on verra...

En tout cas, comme disait le curé de Cucugnan, "pour que tout se passe bien, il faut tout faire avec ordre : nous irons rang par rang, comme à Jonquières quand on danse*". En principe chacun devrait être convoqué le jour de son anniversaire, pour éviter les bouchons, les files d'attente en plein désert médical. Puisque vous n'avez a priori pas de raison d'être souffrant ce jour-là, sauf de la gueule de bois, votre médecin traitant ne vous fera qu'un long topo pour vous sensibiliser à toutes les tuiles qui vous attendent. A 25 ans il s'inquiétera de vos écarts de conduite et de vos addictions. A 45, il vous engagera à dépister vos cancers des seins, prostate et côlon, et vos maladies mentales. A 65, il vous préparera au déclin de vos capacités, physiques et intellectuelles, et à la perte de votre autonomie.

Vous trouverez peut-être que j'évoque cela avec beaucoup de légèreté, ou de cynisme. Sans doute le mettrez-vous sur le compte de mon dépit, ou de ma jalousie : je ne bénéficierai pas, en effet, des libéralités de Monsieur Braun. Je me suis d'abord étonné, c'est vrai, qu'il limite sa suite arithmétique de raison 20 à 3 termes. J'aurais trouvé logique et juste qu'il la pousse jusqu'à 85, voire 105. Je me suis demandé si, pour Monsieur Braun, les gens de mon âge n'auraient pas déjà largement atteint leur date de péremption et ne justifieraient plus la moindre dépense. Je l'ai même un peu soupçonné de programmer ainsi notre obsolescence, l'air de rien. Et puis j'ai compris que les octogénaires et demi, de toutes conditions, lui serviraient en fait de modèles pour sa campagne, d'exemples à suivre, d'objectifs à atteindre, et qu'il veillerait à ce qu'on leur prodigue longtemps et sans compter toutes les attentions dues aux belles espèces menacées de disparition qu'il importe tant de préserver. C'est OK pour moi, Monsieur Braun...

 

 


*Jonquières-Saint-Vincent, village du Gard, proche de Beaucaire et Tarascon, où résida Alphonse Daudet (l'auteur du conte "Le curé de Cucugnan", dans "Les Lettres de mon moulin").