7 novembre 2022

N° 280 - Grosse pomme Tatin


J'ai entendu à la radio l'histoire de ce tableau de Piet Mondrian exposé la tête en bas depuis des années. New York City 1... Comme tout le monde j'en ai vu la photo dans les journaux, ou à la télé. Comme tout le monde je me suis dit qu'on ne saurait en vouloir à personne : l'artiste avait négligé d'en munir l'encadrement d'un petit piton, ou d'une ficelle ! New York City 1... J'y ai vu bien sûr quelque chose comme un plan de Manhattan : les 5th, 6th... 11th avenues, les W45th, 46th... 54th streets sur un écran de Maps ou de Waze. Avec en rouge peut-être les rues en sens interdit, en bleu celles en sens unique, en jaune à double sens. Mais ce n'est pas un vrai plan, c'est un symbole, où le nord importe peu. Le tableau carré a quatre hauts et bas possibles : il me lâche sans boussole, il me perd dans New York City 1, libre d'errer entre les gratte-ciel, de prendre à main gauche où je veux, à main droite quand je veux.... 

Pourtant la conservatrice du musée de Düsseldorf a un scrupule. Elle a vu une photo de l'atelier de Mondrian où son tableau est sur un chevalet, dans l'autre sens. C'est en noir et blanc mais elle se fie aux espacements. Elle est tentée de le remettre à l'endroit, mais le tableau est trop fragile. D'autant plus que ce n'est pas vraiment un tableau : la toile est vierge, les bandes de couleur sont des rubans déjà plus très adhésifs. L'artiste tournait sans doute le châssis dans le sens qui facilitait son collage et l'on ne sait s'il avait tout à fait terminé quand la photo fut prise... Il y a bien un autre New York City de Mondrian au Centre Pompidou, fait un an plus tard, à l'huile celui-là, mais ce n'est pas le même canevas1. New York City 1 restera donc tel qu'il est, laissant chacun incliner la tête ou faire le poirier pour décider dans quelle position il ressent la plus forte émotion...

Je ne sais trop quelle est la mienne devant ce réseau de parallèles tricolores et primaires... Leurs entrelacs, leurs entrecroisements me ramènent aux origines de ce blog, où mes mots parallèles prétendaient faire écho aux mots croisés de mon puîné. Le tressage des rubans m'intrigue. J'en compte dix dans un sens et quatorze dans l'autre. Lequel a été posé le premier, dans quel désordre se sont-ils succédés et chevauchés ? Sans rien changer au motif ni aux couleurs il pourrait y avoir des milliards de combinaisons possibles2... Et même quatre fois plus grâce aux quarts de tours. Je vais proposer à mon frangin de nous lancer dans la confection de toutes ces variantes de New York City 1. Et de les numéroter soigneusement, comme nos autres œuvres.

 

1 - Voir par exemple : https://www.slate.fr/story/235625/tableau-mondrian-accroche-mauvais-sens-envers-new-york-city-musee-exposition

2 - 140 croisements dessus ou dessous, d'où 2140 = 1.39... x 1042 ??

 






2 novembre 2022

N°279 - Mange ta soupe !

J'entends à la radio que des attentats se multiplient dans les pinacothèques. Des factieux aspergent de potage épais ou de sauce pâteuse des toiles de grands maitres, en prétendant nous exhorter ainsi à renoncer aux énergies fossiles. Nous avons connu jadis un histrion wallon qui se faisait une joie d'aplatir des tartes à la crème sur les tronches des notables qu'il ne pouvait pas blairer. Il y eut aussi quelques enfarineurs, moins portés sur la pâtisserie, qui se contentaient de leur vider un sac de farine sur le crâne. Mais pourquoi donc barbouiller aujourd'hui de coulis de tomate les tournesols du malheureux Van Gogh ? Peut-on imaginer en effet une pub plus efficace, plus éloquente en faveur de l'énergie solaire que ces superbes fleurs héliotropes ? On se demande comment d'iconoclastes écolos osent balancer leur rata sur des plantes aussi vigoureuses, aussi généreuses, dont les larges feuilles, les fortes tiges, les riches huiles même - une fois recyclées après la friture - produisent tant de barils de bioéthanol ? Quelle sotte inconséquence...

D'autres ont jeté ici une gamelle de purée sur des meules de Monet, là une giclée de ketchup sur la jeune fille de Vermeer et sa perle d'oreille.  On renonce à comprendre pourquoi un sage et joli tendron enturbanné ou de paisibles moissons des alentours de Giverny peuvent enrager à ce point des détracteurs d'hydrocarbures... On craint qu'ils ne prennent d'autres chefs d'œuvre pour cibles et ne les canardent de chantilly, de mayonnaise ou de crème de marrons. On ne leur accordera même pas de circonstance atténuante si jamais ils arrosaient de minestrone la Vénus de Botticelli, poussée par un doux zéphyr jusqu'au rivage de l'ile de Chypre, toute nue dans le vent, debout dans la conque nacrée d'une immense coquille Saint-Jacques. Bien que le placement de produit y soit manifeste et le lobbying effréné de la Shell assez impudent...