28 juillet 2022

N° 275 - DysLexis

J'ai entendu à la radio, tôt un matin, qu'il n'avait manqué qu'une voix à la déconjugalisation. J'avais l'oreille encore un peu embrumée, sans son audikette, et, je l'avoue, je me rendormis sans capter si l'assemblée avait débattu de conjugaisons illégales ou de jus à décongeler... Le mot est revenu, un peu plus tard, dans le bulletin diffusé en FM et sourdine par mon petit Sangean-pocket coréen(1). J'en avais un peu mieux retenu les syllabes et je saisis cette fois sur la table de chevet, entre le fixe Gigaset et la lampe tactile à trois intensités, mon Samsung Galaxy. Ayant chaussé mes lunettes je sélectionnai Google de l'index sur l'écran d'accueil et tapotai (je n'en suis pas à la commande vocale...) quelque chose comme dejuconlagisation. Google s'excusa de n'avoir rien d'autre à m'offrir qu'un extracteur d'huiles suisses émulsifiées ou une deuxième vie cryogénique. N'ayant pas l'usage du premier et pas trop tenté par la seconde malgré la canicule je risquai un nouvel essai. Sans poursuivre au-delà de duconlaj ni de dejagul je m'appliquai pour tester dejoncugalisation. Là, Google m'orienta vers déconjugalisation aah. Mon premier réflexe d'internaute trop souvent piégé fut de me dire : "ah, ah, ah... je me suis encore fait avoir". J'ouvris quand même le Petit Larousse qui ne me proposa que déconnecter ou déconner. Pas rebuté par cette mise en garde je sortis mon Lexis de la langue française des grandes occasions, édition 1975. Mais entre déconfiture et déconvenue, qui ne vaut guère mieux, je n'y trouvai qu'une liste d'actions ou d'états inverses en décon-, mais pas déconjugalisation. Je dus retourner au wiktionnaire pour apprendre que le vocable, introduit en sociologie au début du XXIe, désigne "le processus de destruction du lien conjugal, de désengagement ou de réadaptation après la disparition du couple"(2). Autrement dit, on ne doit plus parler de son ex, mais de son/sa déconjugal·e.  

Je m'interrogeais cependant sur la racine commune de conjugal et conjugaison. J'en trouvai l'explication chez Destutt de Tracy, qui écrivit en 1803 : "On appelle ordinairement conjugaisons les déclinaisons des verbes. C'est, dit-on, parce que plusieurs d'entr'eux se conjuguent les uns comme les autres, sont rangés sous le même joug". Je m'en doutais un peu : le joug qui unit, qui accouple, à commencer par les bœufs que ne manquait pas de chanter jadis mon grand-oncle Gaston, au dessert des banquets de noce ou de communion à la mode du Pays de Caux.

J'ai deux grands bœufs dans mon étable
Deux grands bœufs blanc marqués de roux
La charrue est en bois d'érable
L'aiguillon en branche de houx.
J'aime Jeanne, ma femme,
Eh bien j'aimerais mieux la voir mourir
Que de voir mourir mes bœufs
(3).

Pauvre Jeanne !... En était-on déjà à la déconjugalisation antispéciste ?



(1)Ne cherchez pas : c'est la marque de mon transistor de poche.

(2) J'avais quand même appris en passant que l'allocation aux adultes handicapés ne dépendrait plus des revenus du conjoint.

(3)Les bœufs : Chanson de Pierre Dupont (1821 – 1870) http://www.delabelleepoqueauxanneesfolles.com/LesBoeufs.htm






7 juillet 2022

N° 274 - Dura lex ?

 

Il flotte partout comme un air de vacances... Même à la rédaction de mots-parallèles ! Le chef en aurait-il laissé les clefs à un stagiaire ?


J'entends à la radio que ça ne va pas être facile pour le gouvernement... Il va devoir déployer des trésors d'entregent et de diplomatie pour avoir une petite chance de faire passer un projet de loi. Mais il lui faudra d'abord mobiliser des bataillons de virtuoses du traitement de texte pour le rédiger. J'entends sur Inter un commentateur chevronné donner à Mme Borne quelques conseils pour échapper aux chipotages du Parlement, aux pinaillages sur les virgules et aux cascades d'amendements.  Son truc est simple : il faut faire court, se limiter à quelques articles, deux ou trois au plus, et n'employer qu'un minimum de mots. Son calcul est indiscutable : moins il y a de mots, moins il y a de possibilité d'en changer.

En fait ce qu'il faudrait au gouvernement c'est un Secrétaire d'Etat à l'Economie Verbale. Dans le genre, mais c'est trop tard, de Fernand Raynaud. Hélas, personne ne se souvient de Fernand Raynaud... Et pourtant, lui, il savait s'y prendre. Un vrai coach, comme on dit maintenant, quand il corrigeait l'ardoise où le petit marchand de quatre saisons avait inscrit à la craie : "Ici on vend de bonnes oranges pas chères". Tout y passait. Pourquoi ici ? On n'est pas chez le voisin, effacez-moi ça ! Pourquoi on vend ? On se doute que vous n'en faites pas cadeau : effacez on vend ! Bonnes oranges ? Seraient-elles donc pourries ? Allez, effacez bonnes. Et aussi pas chères, parce que cela va sans dire. Et puis effacez oranges : ce ne sont pas des bananes !

Voilà, tout était dit en trois coups d'éponge ou trois coups de gomme... Une magistrale leçon de publicité, de communication et de politique : en dire le moins possible, pour que ça frappe davantage l’imagination.

Mme Borne a dressé l'autre jour la liste de ses priorités. Nul doute qu'un Fernand Raynaud saurait en condenser l'esprit en quelques mots qui aient force de loi. Essayons de nous y exercer ensemble si vous le voulez bien ? Nous remettrons ainsi à l'honneur notre ancienne rubrique "Jeux d'été". J'amorce avec quelques propositions :

- Loi sur les retraites : Chacun aura droit à vingt années consécutives de retraite à la date de son choix.
- Loi sur la santé : L'hôpital veillera à ce que tout vivant bien portant puisse mourir en bonne santé*.
- Loi sur la transition énergétique : Il sera interdit de faire de la fumée.
- Loi sur le pouvoir d'achat : Partout on vendra de bonnes oranges pas chères.


 * Ca, c'est dû à Pierre Dac.