22 mai 2017

N° 183 - V'la l'bon vent, v'la l'joli vent...




J'entends à la radio François Baroin qui cite Jean Guitton pour fustiger les transfuges de LR1 : "Etre dans le vent, c'est avoir le destin des feuilles mortes".

N'attendez pas que je me mêle de cette chicane. Par contre il n'est pas question que je laisse médire des feuilles mortes : je leur dois trop. Elles ont joué un grand rôle dans ma carrière. C'est l'un de mes points communs avec Lionel Jospin. Nous avons le même âge (à un an près) la même taille (à un centimètre près) et tous deux cinq frères et sœurs (à deux sœurs près). Lui, ce qui l'a fait connaître c'est son interprétation des "feuilles mortes", fin 84, à la télé, chez Sébastien2. Moi, ce qui m'a rendu irremplaçable au boulot à la même époque, c'est de les chanter au Japon.

Après de longues journées à subir mes exposés techniques, mes collègues nippons m'emmenaient souvent boire quelques verres de mizuwari3 et grignoter des tsukemono4 dans l'un ou l'autre des innombrables petits bars nichés dans les étages des quartiers plus ou moins chauds d'Osaka ou Tokyo. Là, j'étais accueilli par des hôtesses en kimono, gracieuses et empressées, qui, assises près de moi, m'aidaient à décortiquer les cacahuètes et riaient, la main devant la bouche, quand je tentais de dire deux mots en japonais. Puis venait le moment où elles m'invitaient à chanter. On n'en était pas encore au karaoké sur grand écran : on m'apportait des livres de chansons et des recueils de partitions épais comme feu le programme de Bruno Le Maire. Mais presque tout le répertoire était japonais, le reste était anglais ou américain. Si, en cherchant bien, je tombais sur une page en français, c'était un tube d'Adamo. Je déclinais : c'est du belge ! 
Alors, rassemblant mes souvenirs, je tentais "Les feuilles mortes". Il arrivait qu'un pianiste connût un peu l'air et pût m'accompagner. Le plus souvent je me lançais a cappella. Parfois une hôtesse se joignait à moi en fredonnant des la la la. Le bar entier faisait silence pour écouter ce gaikokujin5 qui chantait une chanson inconnue et incompréhensible... avant de lui faire une ovation ! Mes collègues mirent de côté le texte que j'avais réussi à reconstituer pour en distribuer des copies aux bars où ils avaient leurs habitudes (et des flacons de whisky étiquetés à leur nom dans de hautes armoires vitrées). Je n'y coupai donc plus...

Jospin est tombé dans la nuit froide de l'oubli en 2002. Moi, mes Japonais ont réclamé que je revienne de temps en temps, pour un séminaire ou un colloque, jusqu'en... 2007.

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi...

Dites, François Baroin, c'est quand même beau à l'automne un arbre qui se bariole progressivement de feuilles de toutes couleurs... 
Et puis, prendre le vent, c'est aussi le pari d'un voilier et de son équipage...




1 - Meeting LR à Paris le 20 mai dernier.
2 - Agacé des leçons de politique qu'Yves Montand administrait à la gauche, le premier secrétaire du PS voulait lui signifier ainsi : à chacun son métier.
3 - Du whisky allongé d'eau (Suntory en général).
4 - Des amuse-gueule salés. 
5 - Etranger.


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