25 septembre 2018

N° 208 - Appellation garantie d'origine

J'entends à la radio que M. Zemmour s'est fait remarquer en fustigeant les Français qui portent des prénoms pas très catholiques*. Il est vrai que c'est un peu la pagaille du côté de l'état civil. On se demande pourquoi les choses n'y sont pas aussi claires et nettes qu'à la Sécu. Tenez, moi qui suis né à Rouen il y a quatre fois vingt ans mon matricule est limpide : 1 pour le mâle, 38 pour le millésime, 07 pour le mois, 76 pour le département, 540 pour la commune. Ainsi tout le monde sait d'où je viens, et depuis quand. Cela fait partie des choses qu'on a besoin de connaitre. Je dirai même plus : des choses qu'on aime faire savoir. Si je me décide un jour à changer de voiture -avant de renoncer à conduire- je ferai comme tout le monde : je ne manquerai pas de faire ajouter au coin de la plaque un petit 76 affichant mes racines normandes (un bout de scotch suffira à le transformer en 75 les jours où ma mie prendra le volant).

C'est tellement légitime que je ne comprends pas pourquoi mes parents m'ont fait baptiser Pierre. Sans doute ont-ils cru bien faire : le patronage du plus illustre des apôtres, du premier pape, du porte-clefs du Paradis présentait certainement à leurs yeux toutes les garanties souhaitables. Pourtant le cas de ce barbu n'est pas très clair... D'abord, Pierre, c'est un pseudo, sous lequel il masquait sa véritable identité : Simon Barjona... où barjona signifie "rebelle" en araméen ! Ensuite on ne sait pas vraiment quand ni comment, pour échapper à la persécution, il a réussi à gagner Rome avec ces faux papiers. Il est sans doute passé par la Syrie et la Turquie, avant de traverser un bout de Méditerranée, mais on ignore quelle barcasse de passeur lui a permis de débarquer clandestinement, peut-être dans une petite anse de la côte sicilienne.

Bref, si Pierre est un prénom très répandu et considéré comme très chrétien, j'aurais, à tout prendre, préféré le parrainage d'un saint bien d'cheu nous. Ce n'est pas ce qui manque à Rouen, la ville aux cent clochers ! Ils sont légion ceux qui n'auraient laissé planer aucun doute, aucune ombre sur l'authenticité et la pureté de mes origines. On aurait plutôt dû me baptiser Ouen, du nom du saint évêque qu'honore une grande abbatiale. Ou Maclou, qu'on vénère dans un petit bijou d'église gothique. Ou encore Sever, ou même Nicaise. Bien sur je n'oublie pas mes frères : j'aurais tant aimé pouvoir appeler celui-ci Godard ou Mellon, celui-là Victrice ou Hilaire ; et les plus jeunes, en élargissant un peu l'horizon : Riquier, ou Wandrille, ou Lo tout simplement ; et pourquoi pas Vaast, Prétextat ou Regnobert ? Au moins nous ne risquerions pas de passer pour des métèques, avec nos petits noms passe-partout et tellement cosmopolites !

Dieu me garde d'oublier notre sœur. Mais le choix est plus réduit : à part Thérèse, on n'a guère canonisé qu'Austreberthe au pays normand. La parité n'étant pas de règle sous l'auréole, M. Zemmour admettra peut-être quelques exceptions ?





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