6 septembre 2014

N° 127 - Rouleaux impériaux


J'entends à la radio que les Japonais pourraient se trouver rapidement au bout du rouleau quand surviendront de nouveaux séismes. Au point que le gouvernement les conjure de stocker du papier toilette, dont les manufactures sont malencontreusement situées dans une région particulièrement exposée, celle de Shizuoka-Kakegawa. J'en conviens, ce nom fait sourire, mais je n'y suis pour rien. 

Entre nous, quand vous passez une heure dans le shinkansen de Shirakawa-Shi à Shinjuku, à feuilleter des mangas de Kakashi, avant de diner à Shibuya de sushis et de sashimis avec des gens d'Hitachi-Mitsubishi venus de Shikoku, l'idée vous vient que les Nippons sont un peu obsédés par la chose…
Mais revenons à leur principe des précautions avant de partir. J'imagine qu'une usine à bobiner du pq est moins difficile à remettre en route qu'un réacteur de Fukushima. Je n'y connais rien mais six mois de réserve stratégique devraient suffire. Ca va quand même chercher dans les six milliards de rouleaux ; en gros, deux cents par famille. Comme le papier japon est aussi résistant qu'il est fin, plus serait excessif. Malgré tout, une fois que c'est entassé dans le wc d'une ikkodate ou d'un apato standard, on ne sait plus en ouvrir la porte (car celle-là n'est pas coulissante). Aussi le MITI recommande de s'équiper également de toilettes portables (ce ne sont que de grands sacs-poubelle dans lesquelles on s'introduit entièrement, hors la tête, après y avoir jeté une poignée de pastilles, une sorte de litière étudiée pour*).

Je dois dire que ceux qui connaissent un tant soit peu le Japon sont étonnés par ces informations. Ils soupçonnent qu'elles visent plutôt à procurer une bouffée d'air frais (?) à une industrie papetière asphyxiée par la crise et par le numérique. Le fait est que le premier motif de dépaysement et de ravissement d'un étranger venu découvrir le pays du soleil levant se niche dans ses commodités. Les cuvettes de la firme ToTo sont en effet des merveilles de technologie et de confort. 

Un petit tableau de bord fait corps avec le côté du siège. Son clavier, illustré de pictogrammes très explicites, permet d'abord de régler la température de la lunette. Puis d'actionner, en fin de session, jaillissant d'une petite buse rétractable, un court jet d'eau dont on ajuste à son goût aussi bien le débit, la puissance, la durée et l'orientation que la forme - en pointe, en éventail, en tulipe ou en spirale - tout comme le rythme et l'amplitude d'oscillation, la chaleur et le parfum. Le visiteur choisit aussi la musique douce propre à le soulager ou le fond sonore qui rend sa présence plus discrète. Les modèles les plus avancés proposent, à l'instar des stations de lavage de voiture, un léger ajout de mousse avant rinçage, une finition à la brosse rotative souple et, pour le séchage, un souffle délicat d'air chaud et pulsé.
Chacun le comprend, si l'on peut prendre plaisir à s'attarder dans de tels lieux d'aisance, le pq n'y a plus sa place. Sauf peut-être comme matériel de secours, avec la lampe-torche (!), dans l'éventualité d'une panne de courant. Provoquée par exemple par l'explosion des centrales nucléaires sous l'effet du tremblement de terre. Dans cette hypothèse, on ne sait ce qui pourrait s'avérer le plus judicieux : cinquante milliards de rouleaux, ou rien du tout…

Si jamais nous étions appelés, en catastrophe, à dépanner les Japonais dans le besoin, pourquoi ne pas donner là une destination utile aux pages de certains gros tirages ? Quoi qu'il en soit, je vous dis merci pour ce moment que vous avez perdu à me lire !

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