4 mars 2025

N° 302 - Lost in Washington

 J’entends à la radio... non, disons les choses comme elles sont, nous l’avons tous entendu, réentendu, vu et revu à la télé : on ne saurait s’habiller n’importe comment quand on a l’honneur et l’avantage d’être admis dans le bureau ovale, au saint des saints de la White House. C’est un courtisan en veste bleu cobalt et cravate beige, un nommé Brian Glenn, l’un des happy few journaleux estampillés Maga maintenant accrédités auprès du boss, qui - probablement appointé comme l’arbitre des élégances, le Pétrone de Donald Néron - a grossièrement morigéné le Président Zelensky. Qui avait cru bien faire en revêtant, pour l’occasion, un battle-dress des plus sobres.

Le valeureux Volodymyr n’avait sans doute pas encore conscience de l’importance de la tenue dans les rules of etiquette yankees. Souvenez-vous qu’on avait aussi pas mal daubé, outre atlantique, sur la touche de notre président Hollande à son premier G8 à Camp David en 2012[1]. Je me suis moi-même un peu initié au cours de mes années d’expat’ aux US aux subtiles nuances qui permettent de venir au bureau en toute fin de semaine dans une vêture casual friday un peu moins formal que le jeudi, sans toutefois déjà s’autoriser le casual décontract’ du weekend. Mais je dois reconnaître que j’ai bénéficié de la part de mes collègues du cru, sur ce plan comme sur beaucoup d’autres, de bien plus de mansuétude que le Président Zelensky. Je vous raconterais bien quelque chose, si je ne craignais que ce soit vraiment très déplacé dans le contexte actuel...

Mais, puisque vous insistez, ça nous changera les idées...

Il y a de cela pas loin de quarante ans j’étais allé à Washington D.C. pour quelques jours, un peu avant Noël, pour quelque réunion ou séminaire avec mes colleagues d’Amérique du Nord, Canadiens compris. Ils s’avisèrent, sachant que j’avais à l’époque peu de contraintes, que rien ne m’empêchait de me joindre au repas de fin d’année prévu le samedi soir. Il me suffisait de décaler mon billet de retour et de prolonger d’une nuit la réservation au Hyatt d’Arlington. Bill vint m’y chercher at 7 pm sharp. La soirée se tenait dans les grands salons du Mayflower Hotel, à un demi-mile de chez Ronald Reagan. Il faut dire que les affaires ne marchaient pas trop mal... Je découvris, en pénétrant dans ces vastes salles illuminées à giorno, que largement plus de cent invités étaient déjà là. Aux executives de la Company, ceux de Washington, ceux d’Orlando, d’Atlanta, Dallas, San Francisco, Chicago, Toronto... se joignaient des chief engineers des FHWA, de AASHTO, des CEO de grosses boites de Civil Engineering, de precasting plants, de suppliers de reinforcing strips. Les épouses ou maris étaient de la fête et je me trouvai là comme au milieu d’une de ces fastueuses prom nights, de ces bals de promo qui font les happy ends de tant de blockbusters hollywoodiens... Les dames en longues robes de toutes couleurs, soyeuses, pailletées, décolletées, fendues ou volantées... Les messieurs, tous, oui tous, en smoking, en tuxedo aux revers de satin, bow-tie écarlate déployée, taille ceinte d’un large cummerbund rouge vif. Et moi, en banale veste tweed à carreaux, genre Prince de Galles, pantalon marron et godasses à tout faire, seul, tout seul d’une allure minable... Heureusement la prodigalité avec laquelle on sert là-bas, au cocktail, le whisky et le bourbon dissipèrent bientôt mon embarras. Je pris place autour de la large table d’honneur du diner avec, entre autres, accompagnés de leurs épouses, deux managers d’une fameuse boite française avec qui venait de se conclure une joint-venture. Ils étaient, eux, informés du dress-code. J’avais au moins la chance, bien que l’esprit déjà passablement embrumé, de pouvoir parler français avec l’une de mes voisines. On devait en être au dessert quand, des tables où dinaient ceux qui me connaissaient bien, on commença à réclamer une chanson. Je dus m’exécuter, gagner l’estrade près du long trois quart de queue où un pianiste en jaquette offrit de m’accompagner. Incapable, en l’état, de chanter autre chose je fus bien aise qu’il connût l’air du Clair de la lune ou quelque chose comme ça... Je n’eus plus jamais l’occasion de chanter dans un cadre aussi prestigieux, devant une assistance aussi select, ni de recevoir une telle ovation... Je ne sais trop comment se termina la soirée, ni qui me ramena au Hyatt, ni à quelle heure...

Quand je regroupai mes affaires dans mon attaché-case et ma petite valise avant l’heure du taxi je perdis beaucoup de temps à chercher quelque chose. Ce n’était pas resté sur la tablette de la salle de bain, au milieu des fioles d’after-shave, de conditioner et de shampoo. Pas non plus dans le drawer d’une table de nuit, avec la bible de Gédéon. Ni dans le mini-fridge entre les mignonnettes de Jack Daniels et de Smirnoff. Pas au fond de la trousse de toilette. Pas sous le lit king-size ni dans le safe. Ni dans aucune poche de pyjama, ni de chemise, de veste, de pantalon portés la veille au soir... Je fouillai, retournai tout deux fois, trois fois. Rien... Je ne retrouvai pas le petit appareil que, quelques semaines plus tôt, un dentiste avait substitué à deux molaires qu’il avait jugé bon d’extraire. Une petite prothèse munie de crochets, qui ne tenait pas en place et me gênait. Qu’avais-je bien pu en faire ? L’avais-je perdue dans un glass de Four Roses ? Ou posée sur le piano ? Ou sur la nappe, près des couverts de ma voisine ? Je ne le saurai jamais. Personne n’a rien dit. J’ai pris le parti de m’en passer...


[1] Si ça ne vous dit rien, faites donc un détour par le numéro 81 de Mots Parallèles du 23/5/2012...



22 janvier 2025

N° 301 - Puisque le voilà...

La pause n'a pas été bien longue... Mais comment résister au besoin de partager son ahurissement, son inquiétude, quitte à le faire sur un air connu ? Mais, d'abord, pardon aux Mathilde dont Jacques Brel a emprunté le prénom pour cette chanson vigoureuse (dont on peut retrouver la version originale sur :
https://www.paroles.net/jacques-brel/paroles-mathilde
https://www.youtube.com/watch?v=qmNGqiJYZs4).


Carlos, on t’avait prévenu
T’as pas de papiers, t’es foutu
Donald est revenu...
Pablo, mon copain Mexicain,
Les cops vont te filer le train
Donald est revenu...
Toi, la servante, toi la Maria
Tu vas devoir rentrer chez toi
Donald est revenu...
Amigos, nous en veuillez pas
Nous l’avons perdu ce combat
Maudit soit Donald, puisque le voilà !

Ma sœur, ma sœur ne le nie pas
Fais pas comm’ si tu savais pas
Que ce Donald est revenu...
Ma sœur, arrête d’espérer
Qu'il est moins macho qu’il n’était
Le Donald qui est revenu...
Ma sœur, tu le savais déjà
C’est un butor, c’est un goujat
Ce Donald qui est revenu...
Mes amies, ne vous lassez pas
Dit's le, dit's-lui qu’on n’en veut pas
Maudit soit Donald, puisque le voilà !

Et toi Nanuk, sors de l’igloo
Préviens les ours, préviens les loups
Donald est revenu...
Chez toi, Nanuk, t’étonne pas
De voir des gens qu’tu connais pas
Donald est revenu...
Ils vont fouiller comm’ des rapaces
Creuser des mines sous la glace
Donald est revenu...
Vous, les Inuits, lui ouvrez pas
Vous, Kalaallit, l’écoutez pas
Maudit soit Donald, puisque le voilà !

Facho, t’as pris le Capitole
Mais t’es gracié sous la Coupole
Donald est revenu...
Foreur, tu peux forer sans frein
Les écolos, bon, ça va bien
Donald est revenu...
Toi, l’inventeur de fauss’s nouvelles
Tu vas en répandre à la pelle
Donald est revenu...
Elon, Elon, saute de joie :
Des ploutocrates t'es le roi
Grace à ton Donald, puisque le voilà
Le voilà, le voilà !




6 janvier 2025

Numéro 300

Voilà, c’est le numéro 300, qui clôt le troisième volume, au moment où commence une nouvelle année que je souhaite, de tout cœur, sereine, heureuse et bien remplie à mes lectrices et lecteurs fidèles.

Mais... quel en est le nombre, combien en reste-t-il ? Plusieurs, dont j’appréciais les objections comme les éloges, ne sont déjà plus de ce monde... Quelques autres, pas avares hier de bons tuyaux comme de piques savoureuses, n'ont malheureusement plus aujourd'hui, du fait de l’âge ou de la maladie, le loisir ou la faculté de lire mes modestes billets...

Sinon, qui peut s’intéresser encore, à notre époque, à des biftons qui commencent par "J’entends à la radio..."?  J'y entends dire justement que les petits écrans, avec youtube, instagram, tiktok et leurs algorithmes, ont pris nettement le dessus sur la télé, qui avait elle-même supplanté la TSF d'autrefois. On dit même que la moitié de nos contemporains, fatigués de l'info en boucle, saturés d'actualité et lassés de devoir démêler le faux du vrai et de ses alternatives, ont pris le parti de tout couper, de cesser purement et simplement de se tenir au courant. Alors, comment pourraient-ils savoir à quel événement, quel fait divers, quel potin tel ou tel billet fait allusion ?Pourraient-ils même en être curieux si la page, longue de plus de 280 caractères, leur parait rédigée en une sorte de jargon vieux français ? Ou, pis encore, lorsqu'elle prend la forme d'un détournement, d'une parodie d'une chanson d'un autre âge, dont nul ne connait plus la version originale. Alors qu'on peut faire tellement mieux, tellement plus vite, avec l'intelligence artificielle ! Il y a longtemps déjà (près d'un quart de siècle...) lors d'un meeting professionnel où nous faisions connaissance du groupe qui venait de nous absorber, leur grand chef m'avait présenté comme l'un des... dinosaures. Voilà, c'est ça : avec ma radio, mes subjonctifs, mes alexandrins, mes chansons françaises, je suis plus que jamais un dinosaure.

Mais on peut également juger inconvenant de s'amuser à des futilités, de perdre son temps à marivauder quand le monde est tellement angoissant, les périls si menaçants, quand tant de gens périssent sous les décombres ou survivent dans les ruines. C'est vrai, j'en conviens et cela me retient... Mais cela fait tellement de bien aussi de se changer les idées ! Alors, faisons une pause, le temps de choisir peut-être un autre support. Mais qu'on ne m'en veuille pas si jamais un racontar, un ouï-dire, me faisait encore craquer, à ma façon...



25 novembre 2024

N° 299 - Quel vandale !

 J’attends qu’à la radio on nous annonce que c’est fait, que le forfait a été commis, que ce fleuron du patrimoine mondial a été détruit, anéanti... Et, cela, par celui-là même qui en a depuis peu la garde, ou qui l’avait, si le sacrilège est d’ores et déjà consommé... Cela, du fait délibéré de celui qui en avait non seulement acquis la propriété mais surtout endossé la mission d’en assurer l’entretien, la charge de veiller à sa pérennité. Car cette œuvre d’art, ce trésor insigne, est tout sauf immarcescible. Cette installation, pour être précis, est en effet des plus fragiles, des plus périssables. On a certes vu récemment bien des chefs-d’œuvre aspergés de mélasses, de brouets gluants ou de compotes dégoulinantes. Mais, Dieu merci, ils étaient protégés par un verre épais et étanche sur lequel ces pâtées visqueuses n’ont fait que glisser. Par contre le joyau dont on peut redouter qu’il ait déjà été ravi à notre admiration n’a, lui, que sa seule peau pour protection. Le fait qu’elle soit elle-même, par chance, intrinsèquement glissante ne suffit malheureusement pas à mettre la substance médullaire de l’objet à l’abri de toute dégradation. L’une des trois bananes de Maurizio Cattelan vient en effet de tomber entre les mains d’un iconoclaste notoire et déclaré, Monsieur Justin Sun, qui l’a acquise pour six millions de dollars et se promet de la bouffer dès que Sotheby’s la lui aura livrée. Un autre exemplaire, offert mystérieusement au Guggenheim de New York il y a quatre ans, n’avait alors été estimé qu’à quarante fois moins*. Mais Justin n’a cure de s’être fait rouler : c’est dans une cryptomonnaie en bitcoins qu’il a lui-même créée qu’il a, en fait, payé sa banane. Il est donc bien placé pour ne pas la considérer comme un investissement, mais comme un simple amuse-gueule. Tout comme les singes, qui en sont friands mais n’y dilapident pas pour autant toute leur monnaie...

 

Un ami et fidèle lecteur me conjure de ne pas hésiter à recycler à cette occasion le billet n° 246 du 29/9/2020. Il considère que je peux m'accorder cette facilité avant le n° 300... Il vous engage même vivement à tenter un karaoké, sur l’air de ‘’La ballade’’ de Gérard Lenorman, dont la version originale, chacun s’en souvient, commence comme ça :

Notre vieille Terre est une étoile
Où toi aussi tu brilles un peu
Je viens te chanter la ballade
La ballade des gens heureux
Je viens te chanter la ballade
La ballade des gens heureux...



Et revoici la version détournée :

Notre musée n'a pas que des toiles
Car un mécène mystérieux
Lui a fait don de sa banane
Sa banane, c'est généreux
Lui a fait don de sa banane
Sa banane, c'est généreux.

Un brave gardien du patrimoine
Y veille comme un lait sur le feu
Il ne quitterait sa banane
Sa banane jamais des yeux
Il ne quitterait sa banane
Sa banane jamais des yeux.

Lorsque des taches s'y propagent
Que s'en recroqueville la queue
C'est qu'elle est mure la banane
La banane, c'est pas douteux
C'est qu'elle est mure la banane
La banane, c'est pas juteux.

Pour le garde c'est vraiment dommage
Mais, pas le choix, c'est impérieux
Il faut remplacer la banane
La banane qu'est trop dégueu
Il faut remplacer la banane
La banane qu'est trop dégueu.

Il sait qu'on garde au grenier un pagne 
De Joséphin’, qu’est pas trop miteux,
Il y prélève une banane
Un' banan' des dessous fameux
Il y prélève une banane
Un' banan' des dessous fameux

D'un morceau de scotch il l'enrubanne
Et sur le mur la colle au milieu
Juste au bon niveau la banane
La banane, c'est minutieux
Juste au bon niveau la banane
La banane, c'est minutieux.

La dame qui vient pour le ménage
Chaque lundi depuis sa banlieue
Recupèr’ les vieilles bananes
Les banan's pour les loqueteux
Recupèr’ les vieilles bananes
Les banan's pour les loqueteux.

Rois de la dèche et de la panade
Migrants, clochards, chômeurs sans boulot
Ils vont se flamber des bananes
A huit cents briques du kilo
Ils vont se flamber des bananes
A huit cents briques du kilo !

 

 

 

 


21 octobre 2024

N° 298 - Sauve qui pleut

J’ai entendu à la radio et, surtout, nous avons vu à la télé des flots torrentiels s’engouffrer dans les rues de gros bourgs tranquilles et les dévaster en un rien de temps. Nous avons vu les maisons envasées, les sous-sols engloutis, les boutiques mises sens dessus dessous, les autos à la dérive, les ponts disloqués et balayés. La soudaineté, la violence du déferlement nous ont stupéfaits.
Bien sûr avec mon mauvais esprit tatillon j'ai levé les yeux au ciel quand un reporter en bottes et capuchon disait qu’il était tombé là plus de pluie en une heure qu’en deux mois (quels mois ?) ou que la rivière avait atteint ici la cote 6.80 (quel niveau d’habitude ?).

Mais, quand même, ça se gâte, non, le dérèglement climatique ?

Evidemment j’ai remarqué par-devers moi que ce n’est pas d’aujourd’hui que les rivières débordent. Il y a cent quinze ans on circula en barque à Saint-Germain-des-Prés. Il y en a cent cinquante la Garonne ravagea Toulouse, où le Président Mac Mahon prononça ce constat clairvoyant : "Que d’eau, que d’eau..."
D’un petit tour en Morbihan cet été j’ai retenu aussi que nos aïeux qui alignaient pesamment leurs menhirs les portaient tout droit de Locmariaquer à Gavrinis, à pied sec. Nul besoin de faire le tour de la rivière d’Auray : la mer, à l’époque, était 12 m plus bas ! Car énormément de glace a déjà fondu depuis 6000 ans, même si ça ne fait jamais que 2 mm par an...

Mais, quand même, il s’accélère, non, le réchauffement climatique ?

Oui, sans aucun doute, mais... que faire ?
Faut-il rejoindre les écolos et tenter de convaincre le monde entier de ne plus compter que sur le soleil, le vent et nos mollets ? De tout user jusqu’à la corde ?
Ou se résigner au contraire, se ranger sous la bannière défaitiste, égoïste et jemenfoutiste de Mme de Pompadour : "Après moi, le déluge !" ?
Doit-on plutôt faire confiance aux technosolutionnistes optimistes, convaincus qu’on finira bien par trouver un truc, une idée, comme toujours ?
Ou faut-il se retrousser les manches, choisir une solution dès maintenant et la mettre au point, sans attendre ? Comme - par exemple - construire une fusée qui expédie une mission de volontaires sur Mars pour la défricher, y créer un nouveau monde, y fonder une nouvelle humanité ? Make Mars great instead. Pourrait-on alors prier M. Musk de ne pas oublier de déménager aussi les animaux, de concevoir l'une de ses roquettes comme une nouvelle Arche de Noé ? Il n’a pas à s’inquiéter, il ne faut pas tellement de place : 70% de la faune sauvage a déjà disparu en cinquante ans.