Nous entendons à la radio l'indignation
que soulève le crime de Minneapolis. La réflexion et les débats que cela entraîne ramènent décidément encore à cette chanson de Maxime
Leforestier : "Est-ce que les gens naissent égaux en droit, à l'endroit
où ils naissent ? Est-ce que les gens naissent pareils, ou pas ?" Pourtant son refrain - qui s'insurgeait déjà contre la
brutalité - n'est pas facile à retenir : "Nom'inq wand'yes qwag iqwahasa (quand on a l'esprit violent, on l'a aussi confus)" !
C'est en langue zoulou, une raison de plus pour raconter dès maintenant la suite de ma journée à
Oranjemund*. C'était il y a bien 40 ans mais j'en garde des souvenirs qui m'ont marqué.
Dont un que je ne crois plus possible de voir aujourd'hui puisque bien des choses ont heureusement
fini par changer dans cette partie du monde.
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Nous gagnons l'entrée de la concession. C'est plus
sérieux qu'un poste frontière. Le territoire de la compagnie s'étend sur des
centaines de kilomètres le long de la côte sauvage et sur quelques dizaines en
largeur. Il est fermé par un véritable rideau de fer : hautes clôtures barbelées,
chemin de ronde ratissé... On laisse la voiture à l'extérieur : on en prendra
une autre de l'autre côté (à peu près rien de ce qui entre dans la mine ne peut
en sortir). Les autorisations d'accès et les cartes d'identité sont minutieusement
contrôlées. Mais ce sera plus strict encore au retour : on passe à tour de rôle devant une longue glace sans tain d'où l'on se sait observé au risque d'être fouillé. Je
devrai, le soir, tel un voleur pris la main dans le sac, vider la poche de
sable que j'imaginais naïvement pouvoir emporter pour le faire analyser...
Nous roulons
maintenant sur la piste. Il n'y a rien, à perte de vue, que du sable et du
caillou. On voit des traces de travaux, de terre déplacée, étalée ou mise en
terrils. L'océan n'est pas loin, le vent est fort, l'air est salé, chargé
d'embruns. Un vrai no man's land... Nous parvenons au bord d'un gigantesque
cratère. Plantées dans les gradins étroits de ses parois, des centaines de tubes
verticaux pompent l'eau pour tenir au sec l'immense fond de la fouille, vingt
mètres au dessous du niveau de l'océan, dont on voit les lames déferler. Là, une énorme
excavatrice, véritable usine sur chenilles, tend au bout d'un long bras de charpente métallique
une roue dont les godets creusent la terre qu'elle déverse dans un défilé de dumpers
géants.
C'est à quelques kilomètres de là que sera construit
le mur le plus haut que nous ayons encore jamais conçu, aussi haut qu'un
immeuble de 15 étages. Les dumpers graviront une rampe jusqu'à son sommet, d'où
ils benneront, dans une cascade de trémies, de cribles, de bandes
transporteuses et de centrifugeuses, 40 tonnes de déblai d'un coup... dont ne seront
extraits que quelques carats de pierre précieuse.
En chemin vers ce
site nous traversons d'autres zones de terrassement, où sont à l'œuvre des flottilles de scrapers, bulldozers et pelleteuses. Nous nous arrêtons pour voir un
secteur où le sable a déjà été déblayé, sur des mètres d'épaisseur, jusqu'au
roc qu'il recouvrait. Il ressemble aux rochers
où l'on cherche des étrilles, chez nous, à marée basse. Il n'y manque que l'humidité
des algues. La pierre est nette et propre. On y travaille un peu plus loin. Des
cordes divisent le terrain en bandes. Dans chacune un homme penché vers le
sol, ou agenouillé, brosse soigneusement le rocher avec une balayette. Les balayeurs Ovambos progressent
lentement, de front, sous la surveillance de gardes-chiourme.
Ils traquent les derniers diamants qui pourraient encore rester aux creux de la pierre. A la fin de la journée ils se hisseront dans la benne d'un camion rouillé qui les larguera près de la baraque où ils logent, à l'intérieur même de l'enceinte de la mine, en plein désert, dans cet environnement invivable. Comme on ne saurait les soumettre tous les soirs à une fouille complète et soupçonneuse, ils n'auront de permission de sortie que dans quelques semaines, ou quelques mois...
Ils traquent les derniers diamants qui pourraient encore rester aux creux de la pierre. A la fin de la journée ils se hisseront dans la benne d'un camion rouillé qui les larguera près de la baraque où ils logent, à l'intérieur même de l'enceinte de la mine, en plein désert, dans cet environnement invivable. Comme on ne saurait les soumettre tous les soirs à une fouille complète et soupçonneuse, ils n'auront de permission de sortie que dans quelques semaines, ou quelques mois...
Voilà le souvenir tenace, ineffaçable, qui ne devrait plus être d'actualité**. Je l'ai déjà souvent raconté, comme par besoin de
m'en soulager. Derrière tout diamant, qu'il soit sur un diadème, une Rolex, une broche ou une simple bague de fiançailles, je revois toujours le désert interdit d'Oranjemund, la démesure des machines et des engins et, surtout, les fiers Ovambos... à balayette.
"Est-ce que les gens naissent pareils, ou pas ?"
Hélàs non, les gens ne naissent pas pareils.
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