J'entends à la radio que les discussions tournent en rond
autour de l'âge-pivot. C'était fatal... Quel "spin-doctor"(1) a
bien pu inventer une expression pareille ? Qui d'autre qu'un académicien
Goncourt peut avoir envie de prendre sa retraite à l'âge-pivot ? A quoi peut-on
s'attendre ? A bosser docilement quelques années de plus, puis s'entendre dire :
"Désolé, il va falloir repartir pour un tour" ? Et retourner qui à sa
chaise de bureau pivotante, qui à son tour-fraiseuse, qui aux prothèses sur
pivot, jusqu'à un âge de plus en plus avancé... celui des vieilles toupies ? On
aurait quand même pu faire l'effort de trouver une accroche plus dynamique, une
formule qui donne envie d'aller plus loin. En utilisant par exemple un mot
comme "ressort". Ca reste dans le domaine de la mécanique mais au moins ça évoque une
réaction, une relance ; ça suggère quelque chose comme un regain, autrement dit...
gagner plus.
Ah, le choix des mots...
Tenez, "pénibilité". C'est un mot désastreux...
Depuis qu'on en a fait un sujet de négociation chacun découvre que tout travail
est pénible. Il faut se plier à des horaires, respecter des consignes, répéter
les mêmes besognes... Et supporter un patron pénible, des collègues pénibles,
des clients mais pé-ni-bles ! Un syndicaliste vient d'appeler l'attention vers une
corporation particulièrement défavorisée. Il décrit son boulot comme plus
pénible encore que celui des hôtesses de l'air, des policiers, des cheminots,
des routiers ou des petits rats de l'Opéra. Il ne se voit pas plus qu'eux tenir
le coup jusqu'à l'âge-pivot. S'il n'y avait que les charges à soulever et
coltiner sur l'épaule, plus lourdes qu'un sac de ciment, ça irait encore... Les
risques d'allergie au pollen de chrysanthème ou de suffocation par les fumées
d'encens, il n'en ferait même pas état. Ce qui est dur, ce qui est vraiment
difficile dans son métier est d'ordre psychologique. Cela porte atteinte au moral.
A l'hôpital les infirmières ont au moins la chance(2), elles, de
voir à peu près tous les patients repartir guéris, avec le sourire. C'est
gratifiant. Lui, ce n'est pas du tout pareil : il passe son temps auprès des
défunts, il est croque-mort... Toute la journée il n'est entouré que de figures
d'enterrement. Les gens auxquels il a affaire, les usagers de ses services,
sont généralement en larmes, parfois complètement désemparés. C'est déprimant...
Le pauvre est trop jeune pour avoir connu le temps où
Quand les héritiers étaient contents
Quand les héritiers étaient contents
Au fossoyeur au croque-mort, au curé, aux chevaux même
Ils payaient un verre.
Ces bonnes manières se sont perdues, elles sont révolues, elles ont fait leur temps(3)...
A défaut, quel autre mot que "pénibilité" pourrait qualifier son métier et lui remonter le moral ? "Humanité" ?
Ils payaient un verre.
Ces bonnes manières se sont perdues, elles sont révolues, elles ont fait leur temps(3)...
A défaut, quel autre mot que "pénibilité" pourrait qualifier son métier et lui remonter le moral ? "Humanité" ?
Voilà douze ans que je suis vraiment à la retraite. Quand je
me souviens de mes années d'activité ce n'est certainement pas pénibilité qui
me vient à l'esprit. S'il fallait choisir un mot en ité, je chercherais plutôt du
côté de collectivité où chacun est incité à développer ses capacités en toute
convivialité(4). Mais j'ai eu beaucoup de chance...
Je bavarde, je bavarde... Où en étais-je ? Je suis parti de
Pivot, l'amoureux des dictionnaires. Tel le Larousse, et son logo à la fleur de
pissenlit. Ce pissenlit dont les protégés de mon fossoyeur prisent les racines...
Voilà, on a fait le tour, la boucle est bouclée ?
(1) To spin : faire tourner. Spin doctor : spécialiste des relations publiques dont la fonction
est de conseiller un personnage politique sur ses stratégies de communication et
de "donner de l'effet" à son image.
(2)
(3) Les funérailles d'antan (G. Brassens).
(4) J'ajouterais bien durabilité, mais
seuls mes anciens collègues sauraient pourquoi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire