J'entends à la radio que M. Boubakeur souhaite davantage
de mosquées. Cela soulève l'émotion, tant sur le web qu'au café du commerce... Il
se trouve que j'ai mis hier la main sur une missive ancienne, oubliée (peut-être
par l'éditeur des lettres persanes ?) au fond d'un vieil écritoire. C'est
l'occasion de la citer.
Lettre XXL (1). De
Usbek à Nizam, à Ispahan.
Tu ne le croirais pas peut-être
: le peuple de France n'est soumis au caprice d'aucun monarque. Les habitants
de ce pays désignent eux-mêmes le calife et les vizirs auxquels ils confient,
pour un temps, la charge de les régenter. Mais ceux-ci n'exercent point cet office avec tant d'étendue
que nos sultans, parce qu'ils ne veulent point choquer les mœurs et religions
du peuple. Leur calife ne contraint pas les Français à partager une même
dévotion. Il n'a cure qu'ils soient, au gré de leur fantaisie, chrétiens,
mahométans, israélites ou impies, tant que cela ne contrarie pas l'exercice de son
gouvernement.
Cependant je vois ici que la religion est moins un sujet de
sanctification que de discussions sans fin, car il faut choisir entre les
cérémonies de mille confessions, toutes chargées d'une infinité de pratiques incommodes.
On débat d'abord en quelle posture il faut se mettre : celui-ci veut que je
prie sur mes deux genoux, celui-là en branlant du chef et cet autre à
croupetons. On dispute aussi de ce qui est mangeable.
Un vendredi qu'un aubergiste me servait un civet, trois hommes qui étaient
auprès de là m'intimèrent de jeûner plutôt que de courroucer Dieu aux motifs que : pour celui-ci
l'animal était immonde, pour celui-là il était mort étouffé et pour cet autre ce
n'était pas un poisson. Pourtant un gentilhomme chez qui je pus enfin diner à
mon appétit m'assura qu'on rivalise ici en même temps à qui observera le moins
la religion qu'il prétend professer. Il me dit : questionnez cent personnes qui
vivent en ce pays ; la moitié se déclareront chrétiens : quarante-huit comme papistes
et deux comme réformés ; vous trouverez encore six mahométans, un israélite puis
deux ou trois adeptes de croyances d'Orient ; les quarante autres se flatteront
d'être sans dieu ni diable. Mais alors que trois des six mahométans suivent
avec zèle les préceptes de l'Alcoran, seulement six des quarante-huit soi-disant
catholiques se rendent ordinairement aux offices (2).
J'avais ci-devant ouï conter des choses que je balançais à
croire : nombre des cinquante mille églises, basiliques ou cathédrales, abbatiales,
chapelles ou collégiales de ce pays ne sont plus utilisées ; en même temps on
n'y trouve pas deux mille mosquées ou couverts de fortune où les mahométans puissent
prier. Aussi fis-je à mon hôte cette réflexion : ce pays ne manque pas
d'artisans et de manouvriers adroits à faire promptement d'un jeu de paume une
salle de concert, ou changer en un tournemain les décors de la scène de l'Opéra,
non plus que, prestement et trois fois la semaine, transformer le foirail de
Saint-Germain en terrasses pour les maisons de café. Ne sauraient-ils point pareillement
déranger quelques accessoires pour qu'un même édifice accueille le vendredi les
dévotions des mahométans, le samedi le culte des israélites et le dimanche les
offices des chrétiens, de sorte qu'ils y glorifient le même Dieu tour à tour ? L'Etat,
qui a l'intendance de ces lieux, pourrait-il mieux faire montre de sa neutralité,
comme ceux qui consentiraient à ce partage le feraient de leur charité
chrétienne ?
Là mon hôte parut saisi d'incrédulité, puis il se prit à
rire en demandant, la main sur mon épaule : comment peut-on être Persan ?
(1) Simplement parce que
c'est... un peu gros.
(2) Ca, c'est sérieux, cf :
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