15 février 2013

N° 99 - Simple hippothèse

 J'entends à la radio… En fait, non, personne n'y parle d'alouette.
Et pourtant, alouette, gentille alouette,
"Sitôt que tu es arrosée
Au point du jour, de la rosée
Tu fais en l’air mille discours
En l’air des ailes tu frétilles
Et pendue au ciel tu babilles
Et contes aux vents tes amours
[…]
Lors je dis : Tu es bien heureuse
Gentille alouette amoureuse
Qui n’as peur ni soucis de rien…"
(Pierre de Ronsard)

Gentille et coquette alouette, tu minaudes et pirouettes devant les miroirs en girouette… Mais prends garde, tu es en train de te faire piéger, petite alouette des champs ! Toi qui prenais tant de plaisir à turluter, grisoller, tirelirer en t'envolant très haut vers le soleil du matin, pour y faire ton Saint-Esprit. Tu vas te faire prendre au filet, mignonne calandrelle, ou coincer sous la matole, jolie pispolette. Tu vas te faire plumer par les braconniers de Gascogne, et la tête, et les ailes, et le bec, et le cou... Hélas, pauvre mauviette, tu vas te faire boulotter…
Foutue pour foutue, ignore les cossards qui attendent béatement que tu leur tombes en piqué dans le bec, sans le moindre apprêt, mais toute rôtie. Oublie les cuistots de Pithiviers qui te bourreraient de farce avant de te fourrer en douzaine bien tassée dans une tourte feuilletée. Et méprise les gargotiers de Provence qui osent façonner des alouettes sans tête où n'entrent que du bœuf et du veau !
A la rigueur laisse-toi tenter par ce fameux pâté du sud-ouest qui te doit sa renommée. Même si, on le sait bien, il ne contient pas uniquement de l'alouette. Il me fait penser aux confitures de mûres que cuisait ma maman. Ces mûres qu'on allait cueillir aux ronciers de la lisière du Madrillet*, ces mûres dont le jus s'écoulait lentement du torchon suspendu comme un sac aux barreaux d'une chaise juchée sur des livres empilés sur la table de la cuisine. La recette était simple : "livre pour livre". Une livre de sucre pour une livre de fruits, à parts rigoureusement égales. Exactement comme pour le pâté d'alouette de Castelnaudary : une alouette, un cheval, à parité parfaite. Voilà qui est honnête et clair. Dans la terrine, rien d'autre qu'une petite alouette soigneusement désossée et un bon gros cheval de trait bien costaud ; et qu'importe après tout s'il est arrivé de Roumanie en pièces détachées.
Il est des enseignes et des emballages ornés d'un rouge-gorge plus écarlate qu'un cardinal**. Quelle chaine de grande distribution prendra pour emblème l'humble et modeste alouette des champs ? Et sera la première à nous mener en gondole, avec des moussakillons en barquette, des canneloniettes, des lasagnottes ou des raviolettes… d'alouette ?



* Pour ceux qui ne connaitraient pas bien l'histoire de Quevilly, c'était à l'époque un "champ d'aviation", où les alouettes n'avaient pas encore d'hélice.
** L'actualité va si vite que je n'ai pas su faire mieux pour passer de l'écurie roumaine à la Curie Romaine…



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