J’attends qu’à la radio on nous annonce que c’est fait, que le forfait a été commis, que ce fleuron du patrimoine mondial a été détruit, anéanti... Et, cela, par celui-là même qui en a depuis peu la garde, ou qui l’avait, si le sacrilège est d’ores et déjà consommé... Cela, du fait délibéré de celui qui en avait non seulement acquis la propriété mais surtout endossé la mission d’en assurer l’entretien, la charge de veiller à sa pérennité. Car cette œuvre d’art, ce trésor insigne, est tout sauf immarcescible. Cette installation, pour être précis, est en effet des plus fragiles, des plus périssables. On a certes vu récemment bien des chefs-d’œuvre aspergés de mélasses, de brouets gluants ou de compotes dégoulinantes. Mais, Dieu merci, ils étaient protégés par un verre épais et étanche sur lequel ces pâtées visqueuses n’ont fait que glisser. Par contre le joyau dont on peut redouter qu’il ait déjà été ravi à notre admiration n’a, lui, que sa seule peau pour protection. Le fait qu’elle soit elle-même, par chance, intrinsèquement glissante ne suffit malheureusement pas à mettre la substance médullaire de l’objet à l’abri de toute dégradation. L’une des trois bananes de Maurizio Cattelan vient en effet de tomber entre les mains d’un iconoclaste notoire et déclaré, Monsieur Justin Sun, qui l’a acquise pour six millions de dollars et se promet de la bouffer dès que Sotheby’s la lui aura livrée. Un autre exemplaire, offert mystérieusement au Guggenheim de New York il y a quatre ans, n’avait alors été estimé qu’à quarante fois moins*. Mais Justin n’a cure de s’être fait rouler : c’est dans une cryptomonnaie en bitcoins qu’il a lui-même créée qu’il a, en fait, payé sa banane. Il est donc bien placé pour ne pas la considérer comme un investissement, mais comme un simple amuse-gueule. Tout comme les singes, qui en sont friands mais n’y dilapident pas pour autant toute leur monnaie...
* Un ami et fidèle lecteur me conjure de ne pas hésiter à recycler à cette occasion le billet n° 246 du 29/9/2020. Il considère que je peux m'accorder cette facilité avant le n° 300... Il vous engage même vivement à tenter un karaoké, sur l’air de ‘’La ballade’’ de Gérard Lenorman, dont la version originale, chacun s’en souvient, commence comme ça :
Notre vieille Terre est une étoileOù toi aussi tu brilles un peu
Je viens te chanter la ballade
La ballade des gens heureux
Je viens te chanter la ballade
La ballade des gens heureux...
Et revoici la version détournée :
Notre musée n'a pas que des toiles
Car un mécène mystérieux
Lui a fait don de sa banane
Sa banane, c'est généreux
Lui a fait don de sa banane
Sa banane, c'est généreux.
Un brave gardien du patrimoine
Y veille comme un lait sur le feu
Il ne quitterait sa banane
Sa banane jamais des yeux
Il ne quitterait sa banane
Sa banane jamais des yeux.
Lorsque des taches s'y propagent
C'est qu'elle est mure la banane
La banane, c'est pas douteux
C'est qu'elle est mure la banane
La banane, c'est pas juteux.
Pour le garde c'est vraiment dommage
Mais, pas le choix, c'est impérieux
Il faut remplacer la banane
La banane qu'est trop dégueu
Il faut remplacer la banane
La banane qu'est trop dégueu.

Un' banan' des dessous fameux
Il y prélève une banane
Un' banan' des dessous fameux
Juste au bon niveau la banane
La banane, c'est minutieux
Juste au bon niveau la banane
La banane, c'est minutieux.
Chaque lundi depuis sa banlieue
Recupèr’ les vieilles bananes
Les banan's pour les loqueteux
Recupèr’ les vieilles bananes
Les banan's pour les loqueteux.
Ils vont se flamber des bananes
A huit cents briques du kilo
Ils vont se flamber des bananes
A huit cents briques du kilo !