8 mai 2024

N° 295 - Du feu de dieux

J'entends à la radio qu'elle est née du soleil, au creux d'une parabole. Jaillie au sein du sanctuaire dédié au dieu suprême de l'Olympe, elle a été pieusement nourrie par ses prêtresses, vestales aux toges immaculées et virginales. Puis le premier des missionnaires a empoigné la torche, le cierge du feu sacré et, prenant le petit trot, s'est mis en chemin.

La flamme vient d'arriver à Marseille sur ce fier et beau trois-mâts baptisé Belém, du nom qu'au Portugal on donne à Bethléem. Jadis ce n'est qu'une pauvre coquille de noix à la dérive depuis les côtes de Judée qui fit s'échouer les Saintes Marie sur un banc de sable de Camargue. La foule qui, trois fois l'an, conduit en procession la barque et les soi-disant reliques des deux Marie et de Sainte Sara depuis l'église jusqu'à la mer est souvent aussi dense que celle qui s'est pressée aujourd'hui sur le Vieux-Port pour y vénérer une lampe-tempête, y encenser une lanterne...

Maintenant qu'elle est enchâssée dans un ostensoir inoxydable et fuselé, la flamme commence un long périple. Il me rappelle celui de Notre-Dame du Grand Retour... Il y a quatre-vingts ans (eh oui, je m'en souviens !) cette statue d'une autre Marie embarquée parcourut pompeusement la France entière, de Lourdes à Boulogne-sur-Mer, de paroisse en paroisse, accueillie, escortée partout par des foules ferventes et confites en dévotion. Les gens chantaient alors, du même alléluia, la madone, la fin de la guerre et le retour des prisonniers(1)

La flamme va sillonner le pays, enchaînant au train de footing de ses flamines(2) les chemins de Compostelle, des pèlerinages de Chartres et des pardons bretons. Les curieux et les supporters en survêts massés le long du parcours, unis dans l'idolâtrie bigote des dieux du stade, vont y guetter la lueur d'une sorte de veilleuse de tabernacle en balade, ou de petite langue de feu de pentecôte buissonnière. Peut-être vont-ils quand même vaguement espérer que le temps des jeux soit aussi celui de la trêve, où prisonniers et otages rentrent enfin à la maison ?

Va pour allumer, ranimer, brandir la flamme. Et pour cesser le feu...


(1) Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Notre-Dame_de_Boulogne#Grand_Retour_(1943-1948)

Et une vidéo d'époque : https://sites.ina.fr/normandie-pour-la-paix/focus/media/NI0003

(2) Le mot du jour : dans la Rome antique les flamines étaient les gardiens du feu sacré.