J'entends à la radio qu'on me
presse de mettre noir sur blanc, sans plus atermoyer, mes directives
anticipées. J'avoue que lorsqu'un hacker a fait courir, il y a un mois, des
fake news sur ma santé, ceux qui s'en sont alarmés m'ont ouvert les yeux : si nul
ne sait de quoi demain sera fait, on peut craindre à mon âge qu'il n'y ait plus
d'après-demains, comme chantait Guy Béart, l'un de mes alumni(1).
Alors, anticipons...
D'abord le côté pratique. Sans aller
jusqu'à exhumer les racines rurales de mes aïeux il suffit d'évoquer la place
qu'a tenue la terre dans mon curriculum, qu'elle soit renforcée, armée(2)
ou simplement boutée au bulldozer, pour comprendre mon parti d'y retourner. Je ne
goûterais guère en effet d'être jeté à l'eau en un sac, tel Buridan(3),
ou comme un terre-neuvas, même au large de Senneville(4). Je ne
priserais pas davantage d'être disséminé en cendres aux quatre vents, avec la
fleur du pissenlit, malgré l'estime que je porte au petit Larousse(5).
Je préfèrerais m'attarder, faire durer un peu... A l'instar de Tonton Georges, j'aimerais
prendre le chemin le plus long, puis, de mort lente(6), m'accorder un
répit sous la dalle. Je ne serais pas fâché d'y avoir une adresse, genre Avenue
des Magnolias, ilot C, n°15, où l'on pourrait me déposer le journal pour me
tenir informé de la marche du monde. Je rends grâce d'ailleurs à l'amie attentionnée
qui m'a déjà offert la boite à fixer sur ma stèle(7). J'aimerais aussi
garder ma radio, bien sûr, et mon portable, avec facebook pour les nouvelles
des petits-enfants. Mais plutôt que de me charger de piles, trop polluantes, je
n'exclus pas de prêcher d'exemple, après avoir lancé cet appel à nos défunts :
faites un geste pour votre ancienne planète, remplacez vos plaques de marbre ou vos
carrés de gravillon par des panneaux solaires !
Puisque j'en suis au mausolée : faisons
simple et dépouillé, mais quand même assez grand pour deux, un jour ou l'autre.
Dispensons-nous modestement de tout signe ostentatoire, ainsi que des
bénédictions imméritées de clercs inconnus, popes, rabbis, abbés, bonzes ou imams...
Les hommages de la famille et des amis suffiront bien. Je n'irai pas jusqu'à vouloir,
comme le grand Jacques, qu'on rie, qu'on danse et qu'on s'amuse comme des fous(8).
Mais qu'on chante, ça, ça me fera vraiment plaisir.
Je me suis peut-être aventuré au-delà
de ce qui intéresse la faculté ? Pour ce qui me concerne, je l'ai dit, rien ne
presse et l'éternité peut attendre. Mais j'entends le corps médical déplorer le
manque de personnel, l'insuffisance de lits et les patients dans les couloirs.
Alors, qu'ils fassent tout ce qu'ils peuvent, ils ont toute ma confiance, mais, le
moment venu, qu'ils ne s'encombrent pas de moi au-delà du raisonnable.
Voilà, ça, c'est fait... La
prochaine fois, promis, on revient aux choses sérieuses.
Quelques
références :
(1) Du temps où l'ENPC
se trouvait encore rue des Saints-Pères, "à Saint-Germain-des-Prés"...
(2) Au besoin cliquer sur http://www.terre-armee.fr/TA/wtaf_fr.nsf puis "50 ans de Terre Armée".
(3) François Villon, "Ballade des dames du
temps jadis" : "Semblablement
où est la reine / Qui commanda que Buridan / Fût jeté en un sac en Seine ? / Mais où sont les neiges d'antan ?"
(4) Senneville-sur-Fécamp, dont les gars faisaient
"faire un navire pour aller au
hareng blanc"...
(5) Un fameux logo, plus que centenaire...
(6) Deux formules empruntées à Brassens, dans
"Le testament" et "Mourir pour des idées".
(7) Factice... et tout en carton !
(8) Jacques Brel, "Le moribond".
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La "boite aux lettres" adhésive... |
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et le logo Larousse (avec une préférence pour la racine...) |